Le casse-tête
Pas facile, pas facile. S’il existe bien quelque chose dont les indépendantistes ont piètre conscience, c’est du débordement de sentiment anti-kanak que la CCAT a créé. Ce genre d’éruption n’est pas explosive, vésuvienne, celle qui aurait déclenché une guerre civile ; elle est plutôt effusive, hawaïenne : les coulées de lave coléreuse montent et se succèdent jusqu’à recouvrir peu à peu tous les bons sentiments. L’extrémiste kanak, tout dévoré par sa névrose coloniale, ne voit aucune différence : « Le blanc me détestait déjà, il me déteste toujours ». Mais les autres, qui font des blancs une espèce à part, ne saisissent pas l’importance du revirement : le kanak était un personnage sympathique et fréquentable, surtout en brousse où les modes de vie fusionnent plus facilement. Le voici paré à nouveau d’une étiquette de sauvage armé d’un casse-tête, avec lequel il a détruit les biens communs.
Car il s’agit de biens communs et non d’un « héritage du colonialisme » comme le clame une CCAT toujours à la recherche de son cerveau. Ces biens communs sont ceux qui alimentent la prébende des deux provinces kanaks et assurent les services à la totalité des tribus. Si la CCAT avait parachevé son oeuvre de destruction —et elle tente encore de le faire— il n’y aurait plus d’électricité, de vivres, de services médicaux, ni même d’information extérieure dans les tribus. En voulant anéantir l’économie du blanc la CCAT se moque d’étrangler le coeur même de la Kanaky, attestant que ce n’est pas le sien.
Un crucificateur, pas deux
Nous faisons tous des amalgames, seule manière de gérer les foules qui nous entourent. Difficile pour la majorité des blancs de séparer les kanaks radicaux des autres, surtout quand la pensée coutumière unique efface toutes les démarcations. Même les blancs les plus modérés sont scandalisés par le silence de leurs homologues kanaks. Comment alors échapper au sentiment anti-kanak, en particulier vis à vis de la jeunesse, face à ces consciences foetales dans des corps d’adolescents, prêtes à tout nouveau débordement ?
Inutile de chercher à lui échapper, il nous collera à l’esprit pendant des années, cet ostracisme anti-jeune, et on ne peut lui dénigrer son côté protecteur. Qui considère d’un oeil affable le chien qui l’a déjà mordu ? Au mieux peut-on gérer un tel sentiment, à condition qu’il soit reconnu par tous, kanaks compris. Les nombreux appels à la paix ne génèrent pas un sentiment pour la paix, plutôt une frustration quand elle a été bafouée. Les leaders kanaks se ridiculisent avec des tribunes pour la paix, comme si elle avait été brisée bilatéralement. Non, quand la paix est crucifiée unilatéralement, c’est le crucificateur que l’on admoneste, pas ceux qui la soutenaient déjà.
Le sentiment des blancs entre les mains des kanaks
À l’évidence, résister au sentiment anti-kanak n’est pas entre les mains des blancs mais des kanaks. Raison de la désolante impression de ne pas en avoir la maîtrise. Ce sont les kanaks qui sont titulaires du problème. Car il est entièrement causé par leur unité de façade sur l’indépendance. Tous rassemblés derrière un mot, qui ne signifie rien en lui-même, puisqu’il ne dit pas de quoi on est dépendant. Les indépendantistes ont à ce sujet des discours variés, nécessitant un débat contradictoire, qui n’a jamais été tenu. Cette démission n’est-elle pas entièrement responsable de la prise d’otage actuelle de la Kanaky, par sa fraction qui en a la vision la plus radicale et pathologique ?
Les leaders indépendantistes se sont installés depuis quarante ans dans un fonctionnariat de l’indépendance, une rente politique tranquille. Pourquoi menacer ce fonds de commerce ? Il suffisait de doser les sautes d’humeur, pour animer le conflit sans l’envenimer trop. C’est bien sûr la faute à Darmanin et Macron d’avoir brisé ce gentil équilibre ! Nous avons une classe politique calédonienne mithridatisée contre le venin de l’indépendance, mais guère préoccupée d’ôter les crochets, en particulier les indépendantistes qui les ont plantés et qui tirent de la menace une belle rente.
Sortir de la névrose indépendantiste
La Kanaky manie beaucoup la parole, mais n’en possède pas une diversité suffisante pour en faire émerger une vraiment originale, avec un grand homme pour la brandir. En Kanaky l’importance des discours est encore fondée sur les gènes plutôt que la valeur des idées. Le chromosome Y écrase le X. Le blanc se sent impuissant devant cette parole statique et superficielle, tous sachant bien à l’avance ce qu’elle va dire. Il attend désespérément que le coeur kanak rejoigne le sien dans le concert des cultures vivantes plutôt que rester figé dans la vitrine d’un musée.
Sans sursaut de la Kanaky contre sa propre névrose indépendantiste, aucune des autres mesures proposées dans ces articles n’aura d’impact. Il n’y aura pas de retour du vivre ensemble. Le névrosé en effet est enfermé dans sa hantise. Elle lui masque les autres sources de ses difficultés à exister. Les mesures que j’ai listées jusqu’à présent s’adressent aux conflits plus fondamentaux de la société calédonienne, générationnel, ville/campagne, écarts de richesse. Mais le projecteur de l’indépendance aveugle le kanak à tout cela.
Choisir le bon psy
La Kanaky a besoin d’aller voir un bon psy. Ceux d’Azerbaïdjan et du Venezuela n’ont pas très bonne réputation. Elle devrait essayer celui des ex-colonies qui ont réussi. Paradoxalement ce sont plutôt les anciennes colonies anglaises qui y sont parvenues, alors que le colonisateur britannique a été bien plus rude avec les autochtones que le français. Cependant l’anglais a été plus attentif à deux choses :
1) Il a mieux intégré l’administration locale à la sienne quand elle montrait déjà une sophistication suffisante pour assurer l’ordre. En Inde en particulier, l’administration britannique fut une simple surcouche sur l’indienne.
Le rayonnement vient d’un élitisme local
2) L’anglais a amplifié l’élitisme local au lieu de chercher à fusionner des peuples incompatibles. Plutôt qu’assouplir la hiérarchie pour faire ami-ami avec les locaux, il l’a maintenue telle que sur le sol anglais. Nous connaissons les méchants effets secondaires de ces inégalités sociales bien trop prononcées pour des petites sociétés coloniales. Mais nous négligeons ses effets positifs : la hiérarchie a favorisé l’émergence d’une élite locale et d’un rayonnement culturel à partir des colonies. Exactement ce dont elles ont besoin pour se forger une identité autonome.
Lorsque les colonies anglaises ont décidé de leur indépendance, elles avaient véritablement les atouts pour s’en sortir. Tandis que les français ont abandonné des colonies encore trop adolescentes et toujours en train de réclamer de l’argent de poche à la métropole. L’élite kanak existe. Mais elle est en France, pas ici. Et elle ne se sent pas si désirée par ses frères qu’elle se précipite pour revenir. Nous avons séparé la tête et le coeur de la Kanaky par un océan.
Les bons sentiments ne sont pas toujours les plus utiles.
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Ma compagne me reproche un excès de manichéisme blanc/noir, alors que la population calédonienne comporte un grand nombre de métis. Elle a raison bien sûr. Mais si j’utilise ce manichéisme, c’est en conformité avec le sentiment général. J’attends impatiemment le jour où il ne sera plus utile. En attendant parlons le langage des opposants. Anecdote : Un ami de ma compagne se fait traiter de “sale blanc” sur un barrage à Poya. C’est un métis viet aussi foncé que son agresseur. L’écran rétinien raciste a une très mauvaise définition…