Abstract: La Kanaky a-t-elle encore une conscience, après avoir été la proie de ses instincts les plus primaires ? Ceux-ci agitent vigoureusement le drapeau de l’indépendance. “Nous existons!” clament-ils. Et derrière ? On existe comment ? Ouvrons le dossier psychanalytique pour sauver la nouvelle génération… et aussi l’ancienne.
Indépendance dynamique ou dynamite?
C’est toute la jeune génération kanak qui terrifie par son immaturité et ses débordements dénués de véritable cohérence, comme si l’on avait dispersé soudainement des milliers de bâtons de dynamite dans la société calédonienne, et à tout instant en effleurer un peut vous faire sauter ! Cette jeunesse terrifie ses propres aînés, dont le pouvoir reposait jusque là sur le respect mérité par l’expérience. La tradition effondrée, reste une population déboussolée mais toujours soumise. Les vieux sont conduits à l’urne de vote avec le bulletin déjà choisi pour eux. Si seulement y était inscrit un projet clair. Certes le titre est énorme : “INDÉPENDANCE”. Mais où sont les petits caractères, demandez-vous ? Il n’y en a pas. Ces lignes presque invisibles qui révèlent les intentions cachées du banquier, de l’assureur, elles n’existent même plus. Ce n’est pas une vente en ligne mais sans lignes…
Les mouvements révolutionnaires les plus radicaux dans l’Histoire s’adossent toujours à un projet idéologique cohérent. Quand les destructions visent les moyens de l’occupant, c’est pour le jeter dehors. Mais on ne cherche pas à la fois à l’expulser et à lui demander de rester pour payer les dégâts qu’on a soi-même occasionné !! C’est pourtant le chemin, profondément schizophrénique, actuellement suivi par la Kanaky. Ce qui fait poser la question : la Kanaky a-t-elle une conscience ? La conscience de groupe est-elle encore saine ou aliénée ?
Au Musée Ethnologique
Le kanak coutumier est fusionné à sa société traditionnelle. Pour le dire crûment, et ce n’est pas un reproche, il est aussi peu émancipé de la coutume qu’un neurone dans une boucle réflexe. Il participe au mouvement selon les impulsions reçues, sans remettre en question le motif de l’action. Bon, c’est une preuve de confiance dans le collectif que les occidentaux ont complètement perdue. Mais alors existe-t-il quelque part un cerveau kanak qui envoie ces ordres ? Plusieurs groupes prétendent tenir ce rôle : politiciens, grands chefs, anciens réunis en instances coutumières, élite intellectuelle ayant suivi des études supérieures, leaders de gangs urbains. La hiérarchie est vite floue et désorganisée au-delà du clan.
Quand la coutume empêche de se différencier nettement des autres, aucun personnage de grande stature ne peut émerger, aucun guide spirituel qui serait aussi un représentant du collectif. Ainsi le politicien a moins de pouvoir qu’un grand chef et s’efface même devant le leader d’un gang. Les éduqués n’ont pas plus d’influence que les frustes. La hiérarchie du savoir mime trop celle des blancs pour être acceptable. Le rejet de la colonisation inclue le rejet du progrès social et de l’efficacité. La coutume reste au Musée ethnologique.
La glu communautaire
Le communautarisme tribal est immobilisé par une glu psychique. Le chef n’est représentatif qu’en exprimant une pensée partagée par toute la tribu. S’il existe une discorde le pouvoir du chef se délite. Or une société qui agglomère des groupes culturellement différents génère immédiatement des discordes. Elle devient trop complexe pour que les opinions restent partagées. Chercher une entente signifie pour le chef une perte de pouvoir. Il est naturellement enclin à maintenir un discours clanique. Les solutions, dans la société kanak, sont extrêmement lentes à se mettre en place, voire impossibles. Si la coutume semble imposer cette lenteur, ce n’est pas qu’elle soit nécessaire par tradition. Elle est inhérente à l’incapacité de la société coutumière à créer une hiérarchie claire au-delà du clan.
Nouvelle génération…
La nouvelle génération kanak n’est plus coutumière. Elle se moque de la parole des anciens. A-t-elle créé pour autant une autre organisation sociale ? Non, elle s’est contentée de remplacer les chefs par des leaders auto-désignés par leur radicalité. C’est une rébellion adolescente dépourvue de tout encadrement qui s’identifie au plus insoumis. Les adultes ont laissé libre cours à cette révolte, l’ont encouragée même. Elle personnifie leurs propres frustrations de jeunesse, jamais éteintes. À présent il ne leur est plus possible d’en reprendre le contrôle. Les jeunes sont devenus une faction, un mélange hybride de l’ancien communautarisme tribal et d’un libertarisme occidental séducteur.
Ce mélange aurait pu être une grande réussite s’il avait résolu ses contradictions intrinsèques, à force d’éducation, d’exploration des autres cultures, de partage d’opinions. Nos esprits se complexifient ainsi. Malheureusement les jeunes kanaks ne sont pas sortis de leur quartier, ont fui l’école, ne connaissent le monde qu’à travers les discours haineux exacerbés par les algorithmes des réseaux. Derrière l’illusion d’un accès à l’internet mondial ils n’ont jamais vraiment mis le nez dehors.
…mais pas régénération
Pouvait-on croire que les plus doués d’entre eux, partis faire des études supérieures, seraient revenus encadrer et mieux faire valoir leurs revendications ? Plusieurs obstacles particulièrement raides les en empêchent. Le premier tient à la personnalité même du kanak qui part aux études. Il n’est pas mieux formé à affronter le milieu métropolitain que l’enseignant fraîchement arrivé de métropole n’est préparé à enseigner aux kanaks. L’impact de la vie citadine et la dépersonnalisation des relations humaines est déjà déstabilisant pour un jeune français arrivant de la campagne, alors pour un kanak sortant du jardin communautaire calédonien, la transition est rude !
Seul un puissant désir d’appartenance permet de s’en sortir, de supporter la morgue des autres étudiants bourrés de prétention, l’indifférence méprisante des professeurs devant les mauvais résultats scolaires,. Il faut se contenter d’encouragements qui arrivent désormais au compte-gouttes d’une famille lointaine. Leur capacité de résilience sépare ces jeunes en deux groupes contrastés : ceux qui s’intègrent mais gardent un fond de culpabilité vis à vis de leur héritage ancestral, et ceux qui font semblant de s’intégrer tout en gardant une vive rancoeur face à cette culture indifférente aux traditions îliennes qu’elle a laminées en parcourant les mers.
La compréhension étroite de la colonisation
Le contraste entre ces deux types de jeunes est celui d’une envergure spirituelle, fondée sur une compréhension étroite ou large de la colonisation. La compréhension étroite n’est pas, comme nous pourrions le penser, l’histoire revancharde classique : une “tribu” de blancs est venue envahir la tribu kanak et la chasser de ses terres. Non, c’est plus compliqué que cela. Les coloniaux sont arrivés avec les avancées de leur civilisation, clairement supérieures : vaisseaux, matériel, habillement, organisation, assurance. Tout cela garantissait le succès des missionnaires ; même leur religion devait être supérieure. Malheureusement les colonisateurs ne se sont pas montrés de bons parents. Des êtres aussi doués auraient du élever les enfants des colonies à leur hauteur, partager les fruits de leur richesse. Ils ne l’ont pas fait. Deux siècles plus tard, les kanaks forment la plus basse couche sociale dans une société devenue très hiérarchisée. Déception justifiée.
La compréhension étroite de la colonisation, c’est le parent blanc qui n’a pas fait son boulot. On attendait de lui félicitations et transmissions d’héritage, qui auraient effacé la dette coloniale. Rien n’est venu. Dans ce cadre seulement peut-on comprendre l’incohérence existant entre les destructions de mai et la réclamation simultanée d’argent pour reconstruire. C’est l’adolescent qui casse tout pour montrer qu’il existe. Il quête l’attention de ses parents, n’est pas encore en train de les rejeter. Si les parents décident en réaction de lui mettre une bonne trempe, alors certainement le rejet devient plus explicite. Heureusement l’État français a su retenir l’énergie de ses gendarmes. Le pire n’est pas survenu.
La compréhension large montre les difficultés communes
Quelle est la compréhension plus large de la colonisation ? Certains étudiants kanaks réalisent au contact des jeunes métropolitains qu’en fait c’est bien à une tribu de blancs qu’ils ont affaire. Une tribu technologiquement plus avancée mais pas forcément plus douée en relations humaines. Au contraire. Elle s’est contentée de militariser davantage ses hordes de citoyen avec une hiérarchie contraignante. La solidarité n’est plus spontanée comme chez les kanaks, elle devient imposée. Et cela fonctionne ! Cette conscription parvient à regrouper les ressources et efforts d’immenses populations vers un objectif commun. Aucune société tribale ne peut tenir face à une logistique pareille. Si la Kanaky a encore une voix aujourd’hui, c’est grâce au principe du respect des cultures locales à présent inscrit dans la culture occidentale. Il ne l’était pas à l’époque de la colonisation, comme les Aborigènes l’ont bien plus cruellement appris.
Morale et respect sont inscrits dans la culture du blanc contemporain, mais c’est un tatouage hiérarchisé lui aussi, mal réparti. Il est plus marqué dans les hauteurs que les profondeurs sociales. La plupart des blancs estiment que la tolérance n’est pas leur affaire. Ils ont bien assez de problèmes à leur niveau pour montrer de la solidarité envers les étrangers. La société occidentale n’est pas plus tendre avec ses citoyens qu’avec les kanaks. Le collectivisme est affaibli chez les blancs s’estimant défavorisés. Il ne faut pas attendre d’eux un déferlement de respect et de morale. C’est en ce sens que le comportement des blancs est plutôt tribal lui aussi, et n’a rien d’une attitude parentale pour les kanaks. Ceux-ci sont des rivaux pour l’accès à une richesse déjà vraiment difficile à s’approprier.
Tous embarrassés par nos névroses
Juger la véritable nature des rapports kanaks-blancs demande une altitude les jeunes ne sont pas encore parvenus. C’est l’altitude parentale, celle de la matriarche ou du patriarche respecté. Parfois les jeunes l’acquièrent tôt en étant protecteur d’un frère, d’une soeur, voire d’un parent en difficulté. Cette qualité empathique apparaît spontanément quand on a bénéficié soi-même de beaucoup d’admiration inconditionnelle, d’une mère aimante et d’un père confiant. Les sociétés névrosées produisent moins de ces jeunes que celles accordant la même importance à tous. La société occidentale est encore loin de cet idéal, embarrassée par le poison égalitariste et sa névrose immigratoire. La société kanak souffre d’une névrose pire encore, celle de la colonisation, soigneusement transmise par les parents à leurs enfants. Chaque petit kanak démarre dans la vie avec l’énorme poids de l’Histoire sur les épaules. On se demande comment il peut bondir aussi bien.
Certainement le contraste entre les étudiants kanaks, intégrés ou rebelles, vient-il beaucoup de l’atmosphère familiale. Les intégrés ont bénéficié d’un noyau intime et chaleureux, émancipé de la politique. Les rebelles ont souffert des rancoeurs des parents. Mais ce n’est pas une règle, car des conflits existent au sein même de la famille. Les enfants se différencient très tôt par leurs compétences et il est intenable pour les parents de continuer à déverser un amour aussi inconditionnel aux uns et aux autres. La rébellion des jeunes contre l’État, symbole parental, peut refléter la rébellion contre des parents qui ont préféré un frère ou une soeur plus doués.
Intégration ou assimilation?
Quand je parle d’étudiants kanaks “intégrés”, certains entendront “assimilés”. Mais dans la société contemporaine ce n’est plus un terme péjoratif. L’intégration au Monde apporte une liberté bien meilleure au kanak pour choisir son mode de vie. Il peut reconstituer une tribu s’il le souhaite —la démocratie est une grande diversité de tribus. Il peut se reconnecter à la terre, qui ne sera plus celle de ses aïeux mais celle de ses descendants —pourquoi le kanak s’interdirait-il de “coloniser” une nouvelle terre pour la faire fructifier, lui aussi ?
Dans le péjoratif de ‘assimilé’ s’en dissimule un autre, ‘inadapté’ que s’inflige le kanak lui-même. Appartenant à la coutume il serait incapable de s’adapter à une société différente, il deviendrait aliéné ou perdrait son identité loin de la Terre des Ancêtres. Cette idée renforce la névrose auto-dévalorisante chez le kanak, alors qu’elle est entièrement fausse. Ses ancêtres ont été, comme tous les autres, des migrants et des colonisateurs.
Les jeunes qui rentrent ne sont pas les plus utiles à la Kanaky
Que font les étudiants en fin de formation, au moment de décider de leur avenir ? Il peuvent revenir au pays, pour y retrouver une identité renforcée ? Non, plutôt leur ancien anonymat égalitariste dans une société figée par la coutume. Seuls les enfants de chef échappent à cet étouffoir. L’ego nouvellement occidentalisé des autres est moins enthousiaste. Les plus ambitieux ont le projet de changer les choses. Mais rentrés et confrontés à l’inertie de la coutume, ils déchantent vite. La tradition ne survit que dans sa rigidité face à la mouvance perpétuelle du monde des blancs. Elle n’a pas assez confiance en elle pour s’y insérer. C’est un problème que nous allons retrouver à plusieurs reprises dans ces articles. Le kanak n’a pas si bonne opinion de lui-même et de son ancestralité. Ce que l’on met dans un tabernacle est ce que l’on ne veut pas regarder de trop près. Les questions les plus gênantes sont enfermées dans la même cellule.
Ainsi les jeunes kanaks les plus solidaires avec la coutume sont probablement ceux qui ne rentrent pas. Ils en comprennent les racines et le fonctionnement, voient sa nécessité, qui ne les concernent plus. Pourquoi auraient-ils la prétention de vouloir tout changer ? Le vrai collectivisme est de laisser les autres mener leur vie comme ils l’entendent. Et paradoxalement les kanaks qui rentrent sont probablement les moins solidaires, les plus individualistes, ceux qui viennent rechercher au pays un statut bien supérieur à celui qu’ils auraient en France, parce qu’ils font partie de l’élite tribale et non de la masse, ou qu’ils ont une garantie d’avenir professionnel favorisé, c’est-à-dire gagner un rôle de petit chef.
Quatre vies sinon rien
Faut-il attendre de ces jeunes une remise en question d’un système coutumier qui les avantage personnellement ? Il y a certainement de vrais idéalistes parmi eux. Mais leur énergie s’émousse rapidement face au clientélisme invincible de la société coutumière. Un meilleur cheval de bataille se présente : sauver la tradition kanak du Gargantua blanc. C’est un switch spectaculaire de personnalité que j’ai eu l’occasion d’observer plusieurs fois, particulier à l’idéaliste. L’adolescent grand réformateur de la coutume devient subitement, jeune adulte, son plus grand supporter.
Comment alors la coutume pourrait-elle sortir du musée ? Face à une tradition déjà immobile par nature, les seuls à pouvoir la faire évoluer sont ceux qui s’en sont extraits, mais leur statut de semi-étranger leur fait perdre toute influence. Les réformateurs enthousiastes n’ont aucune chance. Que reste-t-il comme possibilité d’agir ? Décider d’avoir quatre vies, l’enfance dans la tradition, les études occidentales, le retour à un statut coutumier, la lente évolution de l’intérieur quand on a récupéré un pouvoir indiscutable. Du long-termisme…
Il faut beaucoup d’envergure et d’abnégation pour envisager un destin pareil. Combien de personnes sont aussi exceptionnelles ? Parfois aucune dans les petites populations des îles. La plupart des gens se laissent porter par les évènements, donnant l’impression que l’Histoire s’écrit toute seule. Même nos dramatiques Évènements de cette année n’ont été décidés en rien, ils se sont enchaînés tous seuls à partir d’une loi mal comprise. Nous n’y trouvons nulle part de Grand Personnage et donc pas plus de Grand Coupable. Les évènements sont devenus spontanément minables parce que justement aucun Grand Personnage n’est intervenu, ni à leur départ, ni pour les redresser. Le territoire semble tristement dépourvu de patriarches et de matriarches.
Un épineux dossier psychanalytique
L’éducation et l’élévation du jeune kanak ne sont pas faciles, il faut en avoir conscience. La formation intellectuelle occidentale est si éloignée de la culture traditionnelle que les deux se télescopent brutalement. Mélange quasi impossible. Soit le surnageant est le Citoyen du Monde, celui qui a compris la diversité des cultures et la bêtise de la pensée unique ; celui-là ne rentre pas au pays ; il sait qu’il y sera traité comme un étranger. Soit le surnageant est le kanak tribal, et celui-ci utilise sa compréhension du mode de fonctionnement du blanc pour retourner ses armes contre lui. Tout en dénigrant sa Justice, il s’en sert pour justifier l’indépendance et n’importe quel moyen permettant d’y accéder.
Ceux-là tentent de déloger les vieux politiciens indépendantistes pour tenir une ligne plus dure. La plupart ont un statut coutumier important. En même temps qu’une formation intellectuelle, ces enfants ont reçu la plus vicieuse des névroses : considérés chez eux comme de futurs rois, mais à l’extérieur comme des étudiants de seconde catégorie. Injonctions aussi stupides l’une que l’autre, et parfaitement antinomiques. Cerveau coupé en deux. Très peu d’entre eux ont construit une grande commissure pour les unir. Ces jeunes aujourd’hui adultes constituent un épineux dossier psychanalytique plutôt qu’un guide pour la Kanaky.
Pourquoi d’autres pays ont-ils réussi ?
Le diagnostic est sévère pour la Kanaky : un système nerveux fait d’une multitude de neurones parfaitement obéissants et d’une conscience directrice névrosée ? Mon Dieu, que pouvait-elle accoucher d’autre que E24 ? Pourtant imaginez un instant qu’elle ait le même système moteur doté d’une direction clairvoyante : elle serait déjà en train de surfer un avenir radieux. C’est par exemple ce qui est survenu dans les ex-colonies asiatiques, toutes devenues dragons économiques, avec un rattrapage spectaculaire du niveau de vie sur l’occidental, et ceci sans l’aide d’aucune métropole. Les kanaks pourraient être eux aussi en train de surfer cette vague, 40 ans après les premiers Évènements, en ayant bénéficié d’un financement et d’une autonomie économique.
Les blancs toujours présents leur ont-ils mis des bâtons dans les roues ? Prenons alors l’exemple aux États-Unis des afro-américains, qui ont mis moins longtemps à s’extraire de leur fossé d’ostracisme racial et créer leur élite, alors qu’ils avaient en face d’eux un Klu Klux Klan et l’impossibilité d’accéder à une éducation de qualité. Rien de tel en Nouvelle-Calédonie. L’école est gratuite, université incluse, et le racisme reste feutré sur les territoires français. Il est surtout une barrière que pour les moins ardents au travail, ceux qui se cherchent des mauvaises excuses, et réclament une discrimination positive. Mais que crée la discrimination, même positive, sinon des élèves de seconde catégorie justement ?
Faut-il couper la liaison du métro ?
La Kanaky est malade, malade d’un accès schizophrénique, alors que peut-on faire pour elle ? En premier lieu ne faudrait-il pas qu’elle reconnaisse un état de maladie, et accepte le principe d’un soin ? Comment intervenir autrement ? Or ce point n’est pas acquis. Je frémis à l’idée du nombre de Kanaks qui liront cet article et en tireront l’envie de m’égorger sur-le-champ ! Comme le messager porteur de mauvaises nouvelles sur le champ de bataille, le médecin porteur du mauvais diagnostic est haï. Pourtant je suis resté pour soigner, malgré la poussée de haine, ces Kanaks qui me sont aussi précieux que les autres. Je suis arrivé il y a 20 ans avec une opinion neutre, compréhensive des premiers Évènements, et j’ai appris à savourer le communautarisme kanak chaleureux que les occidentaux ont perdu.
C’est d’ailleurs le sujet d’une erreur courante et dramatique chez les Kanaks : penser que les français arrivant de métropole sont encore des coloniaux. Au contraire, ils sont les occupants qui débarquent avec le moins d’a priori. La dette coloniale n’existe plus qu’entre les calédoniens, c’est une affaire territoriale locale. Les métropolitains s’en moquent éperdument. Ils ont déjà oublié leurs deux dernières guerres mondiales ! Alors la révolte d’Ataï… Les arrivants ont une mentalité de citoyens du monde, plutôt encline à ne pas s’impliquer dans les inimitiés locales. Cela n’en fait pas automatiquement de bonnes personnes, et certes ils réveillent d’autres conflits, ceux de la centralisation et de la mondialisation.
La confusion des indépendances
Mais restons attentifs à ne pas mélanger les problèmes. La mondialisation concerne l’indépendance des Calédoniens et non plus des Kanaks. Choisir le degré d’autonomie du territoire demande déjà d’avoir une population unie. Le conflit indépendantiste primaire est interne à la Calédonie. Ce n’est que secondairement qu’il devient conflit avec la métropole et le Monde. Confondre les deux est une grave erreur. Réaliser cette erreur fait comprendre que les métros sont plutôt un facteur d’assouplissement du conflit, en diminuant les tensions entre les communautés locales. Un vrai tête-à-queue mental ! En se retournant ainsi, la loi sur le dégel électoral devient en réalité une excellente chose pour le destin de la culture kanak. Les minorités sont mieux protégées dans une grande démocratie que dans une île. La diversification des groupes assure une meilleure protection de chacun, en réduisant les tensions binaires. La Kanaky a malheureusement manqué de Grands Personnages pour le comprendre.
Qu’est-ce qui peut confirmer cette vision des choses ? Désigner l’État français comme le Grand Coupable des Évènements a plutôt rapproché les calédoniens de souche. Ce n’est pas nous Calédoniens qui n’arrivons pas à nous mettre d’accord, c’est la France qui nous en empêche ! Le déplacement du conflit interne à l’externe est bien pratique, cela efface les responsabilités locales. Conséquence de cette démission peu glorieuse, les métropolitains fuient une île qui semble revenue 40 ans en arrière.
Nous n’avons pas les moyens d’un bi-bloc
N’est-ce pas la mondialisation technocratique que rejettent en réalité la majorité des kanaks, soutenus par une partie des caldoches ? Faut-il laisser continuer cette confusion entre l’indépendance de la culture kanak et celle du mode de vie îlien partagé par tous les Calédoniens ? Car elles ne s’abordent pas du tout de la même façon. Une indépendance face à la mondialisation demande une population soudée, et certainement pas une économie détruite !
Une déclaration qui met tout le monde d’accord, à l’intérieur et à l’extérieur du territoire, est que la Nouvelle-Calédonie vit au-dessus de ses moyens. Elle n’a pas en particulier les moyens d’un bi-bloc gauche/droite ou kanak/blanc. L’alternance est trop coûteuse et plonge dans l’inconnu. Il existe suffisamment de pays riches pour faire les erreurs à notre place. Concentrons-nous sur les solutions qui marchent plutôt que sur nos querelles intestines. Et pour cela il faut un centre politique dur, un monobloc hérissé de ses torpilles radicales mais pas torpillé par elles. Un centre politique dur a besoin de Grands Personnages, d’esprits débarrassés du clientélisme et profondément attachés au bien collectif, capables d’invectiver les débordements stupides des radicaux comme toute mère ou père sait le faire.
Les assassins ont récidivé
Ces Grands Personnages, où sont-ils ? Où sont les kanaks capables de guérir la conscience collective plutôt que leurs egos blessés ? Ici je terminerai avec une note optimiste. Quelle que soit l’opinion calamiteuse que nous pouvons avoir des jeunes après les Évènements, le remplacement générationnel de la classe politique est une chance pour le territoire. Il mettra fin à quarante ans d’idées figées. La conscience mortifiée dont ces jeunes ont hérité a davantage de chances de guérir dans des esprits qui ne l’ont pas créée, dans ceux qui n’ont pas vécu l’évènement crucial qui a poignardé leur conscience collective : l’assassinat du 4 mai 1989.
En effet, une des raisons majeures de la faible estime de soi dans la conscience kanak est qu’elle a laissé tué son intellect. Lorsque Wéa a assassiné Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, le 4 mai 1989, les kanaks sont restés sans réagir devant l’éradication de leur conscience intellectuelle par l’instinctive. Une cérémonie de pardon pouvait-elle suffire à corriger pareil désastre ? Impossible !! La conscience collective aurait du décider d’un basculement radical : Plus Jamais Ça !! Si l’opprobre avait rejailli sur tous les Wéa aux idées aussi frustres et haineuses, la conscience kanak aurait pu cicatriser et se déclarer pleinement morale à nouveau.
Mais l’inverse s’est produit. Les clones de Wéa, les indépendantistes les plus radicaux, ont tiré entière satisfaction de cet assassinat et ont pu propager leurs névroses dans la conscience kanak, sans guère de résistance désormais. Quarante ans plus tard les mêmes, figés dans leurs revendications de 1984, ont pris les derniers esprits libres de Kanaky en otage. Entretemps ils ont implanté leurs névroses dans le cerveau vierge des jeunes, les ont rendus impuissants face aux transformations de la société, et ont provoqué un nouvel assassinat : celui du vivre ensemble, que personnifiait déjà Jean-Marie Tjibaou.
Diminuer le faire et augmenter le donner
La conscience kanak va-t-elle basculer enfin, cette fois-ci ? Va-t-elle rejeter massivement ses extrémistes et guérir, pour enfin trouver sa place dans le monde contemporain ? Ou suivra-t-elle le destin de la conscience arabe, détraquée elle aussi par la décolonisation et préoccupée de terroriser le monde entier, faisant le malheur de tous ses membres impuissants à la corriger ?
La Kanaky est à la croisée des chemins. Il ne s’agit pas pour les anciens de “faire confiance” aux jeunes pour trouver le bon. Il faut vraiment qu’ils “donnent” leur confiance et leur estime aux jeunes, et ce chemin ils le prendront, accompagnés par des échanges permanents. Seule l’estime peut effacer les névroses. Évidemment, après E24, elle n’est pas facile à distribuer. Un énorme effort nous attend…
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