E24-Conclusion provisoire

Il existe deux manières de raconter E24, nos douloureux Évènements calédoniens : la simple et la complexe. Bien que superficielle, la simple n’est pas fausse quand elle s’appuie sur la complexe. Je vais la dire ici, pour qu’en quelques paragraphes vous possédiez une trame efficace pour gérer les torrents d’infox déversés sur les réseaux de métropole.

L’histoire simplifiée pourrait être la métaphore classique de la goutte d’eau faisant déborder le vase, la goutte étant la loi sur le dégel électoral. Mais non. Même empli par le contentieux des trois référendums, le vase n’était pas sur le point de déborder. Il a été sèchement renversé par la CCAT et c’est du feu qui s’est répandu sur Nouméa, pas de l’eau, à la grande stupéfaction de la majorité des indépendantistes et même certainement des leaders politiques de la CCAT. Tein a exprimé une seule fois qu’il n’avait pas demandé de brûler les commerces mais n’a pas pu le redire par la suite, pour sa propre sécurité, ce qui est un argument de sincérité. Ces leaders n’ont pas compris que leurs jeunes étaient coutumiers… de la délinquance et non de la lutte organisée. Subitement débordés par leurs troupes, que fallait-il faire ? Avouer le fiasco dans la direction des opérations ? Se déjuger de l’action entreprise ?

La Kanaky manque de grands hommes et la CCAT n’en comprend aucun. Banalité du mal, aurait dit Hannah Arendt devant l’effarante imbécillité du résultat. Aucun instigateur n’a la stature suffisante pour assumer, dire les choses telles qu’elles sont survenues réellement. Que se passe-t-il quand un gamin fait une énorme bêtise, laisse aller une haine brutale et puérile, puis se voit soutenu par le parent déconfit ? Il est conforté dans son mauvais droit et n’en démordra plus. Si le parent fait marche arrière, il deviendra lui-même cible de la rage infantile. La CCAT, entortillée dans sa lâcheté initiale, a glissé sur la pente et a entraîné toute la Kanaky avec elle dans le jusqu’au-boutisme. Des anciens piégés par une bande de gamins, voilà comment peut se résumer l’affaire.

L’histoire complexe, vous l’avez lue avec la série d’articles précédents. Mais il existe un obstacle majeur à reprendre le dialogue, comme le recommandent en choeur des observateurs perchés un peu trop haut dans les nuages : Comment dialoguer avec une Kanaky qui vient de révéler son immaturité, cache sa raison derrière une émotion gênée ? Discuter avec une CCAT qui rend les gendarmes responsables de ses morts alors qu’ils ont montré la plus grande retenue possible et que l’énorme bêtise des jeunes est bien la cause réelle de ces vies perdues ? Comment discuter avec le gamin qui hurle en tapant du pied « C’est pas moi c’est l’autre » ?

Le procès des Évènements ne peut se tenir sans la résolution préalable du différend interne à la Kanaky. Sinon le procès sera à sens unique. La reprise du dialogue n’est plus une affaire entre frères ennemis ; elle est entièrement dans les mains kanaks. Comment revenir à la table réclamer sa dignité quand vos propres frères l’ont brûlée ?

Certains semblent avoir conservé la leur. La réunion du FLNKS n’a pas pu se tenir en raison des refus d’y accepter la CCAT. Ouf, l’espoir est encore permis sur notre cher Caillou. Peut-être E24 sera-t-elle, dans l’Histoire Calédonienne, une méchante colique avant la fusion de ses peuples ?

Il est difficile de voir des aspects positifs dans les Évènements et pourtant il en est un : la violence a un effet libérateur. Elle détruit des vies individuelles mais libère une conscience collective de ses hésitations. La calédonienne se montrait maladive, souffrant toujours d’un abcès à peine caché. Dans une acmé de douleur elle vient de l’évacuer et montre une plaie béante. Peut-elle enfin se refermer ? Cela dépend des microbes qui l’entourent. À nous de la faire cicatriser.

Dans ces articles j’ai voulu m’adresser à tous et donc aussi à toi, mon lecteur kanak. À toi je voudrais dire quelque chose en particulier, au cas où tu serais toujours viscéralement attaché à l’indépendance de la Kanakie, plutôt qu’à continuer à construire avec moi la Calédonie. Il existe deux manières radicalement opposées de concevoir cette indépendance : Soit tu fermes la porte sur le monde extérieur, et tu ne sauras pas qui viendra derrière, ami ou ennemi, et qui voudra la forcer peut-être ? Soit tu gardes la porte ouverte et tu gardes devant quelqu’un que tu apprécies parce que tu as des attaches anciennes avec lui ; vous ferez front commun à l’extérieur. Il y a chez toi des gens qui ont décidé, sans demander aux autres, de fermer brutalement la porte et la barricader, après avoir brûlé ce qu’il y avait de l’autre côté. Vas-tu les laisser faire ?

Quant à toi, mon lecteur blanc, dont le paradis a été détruit, si tu es là depuis longtemps, tu sais que le Caillou n’en est pas à son premier infarctus. Tu sais aussi qu’il lui reste du coeur. Les kanaks sont fondamentalement des voisins gentils, préoccupés de solidarité et qui pourraient nous la réapprendre, à nous occidentaux populistes qui tendent à la perdre de vue. D’où la violence a-t-elle surgi finalement ? Pas de la Kanaky traditionnelle mais de celle fantasmée par des jeunes oublieux de la coutume, par ceux dont nous avons le plus colonisé la tête, finalement, avec notre individualisme débridé.

Chez certains la fusion a réussi, mais peu sont restés ici. Les autres, laissés sous la coupe de quelques vieux névrosés de l’indépendance, sont-ils entièrement responsables de leur échec ? Expédions les plus méchants à l’extérieur, qu’ils rejoignent l’armée et aillent se bagarrer ailleurs. Mais tentons aussi de faire revenir ceux qui ont réussi. Des gendarmes courageux ont éteint l’incendie. Mais ce n’est pas à eux qu’il faut demander de réparer la soudure. Tous les amoureux de la Calédonie doivent s’atteler à chercher un système politique moins bogué et plus résilient qu’avant les Évènements, pour en faire le Paradis 2.0 et lui rendre sa beauté.

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