Erreur sur le cadavre
Les commentateurs politiques sont unanimes au sujet de la montée des populismes, encore attestée par le succès européen du Front National : La démocratie est en train de mourir ! Cette longue procession funéraire n’a pas bien regardé ce qui est vraiment dans la bière. Aucun coup d’État n’a eu lieu en Europe. Les dictatures authentiques, celles qui ne tiennent jamais d’élections, sont en voie d’extinction. Les régimes autoritaires font au moins semblant. Et nos commentateurs prennent soin d’oublier que les grandes autocraties, russe et chinoise, profitent d’un soutien populaire indéniable. Le populisme qui ronge la planète n’est pas un cancer de la démocratie mais du collectivisme.
Différence totale, celle qui sépare technique et sentiment. La démocratie n’est qu’un régime politique, un mode d’organisation qui a fait ses preuves. Elle autorise toutes les tendances groupistes dans le peuple mais les organise avec une règle simple : les majoritaires dirigent. Quand les dissidences deviennent trop conflictuelles, ce n’est pas le mode d’organisation qui est remis en question mais la délimitation du peuple organisé ainsi. L’échec d’une démocratie nationale ne conduit pas en premier lieu à la mort du régime mais au fractionnement de la nation en groupes plus petits cherchant leur autorité propre. S’ils sont équivalents ils se rendent indépendants ou se fédéralisent. Si un groupe domine numériquement, il prend le contrôle de la nation. Les groupes trop petits et dispersés sont ostracisés et expulsés du territoire.
Pas d’Europe sans socle identitaire
Le populisme naît du sentiment qu’une identité nationale est bafouée. Les électeurs se replient sur cette identité et puisque leur groupe est majoritaire, il redéfinit la nation comme sienne, marginalisant ou expulsant les autres groupes. Et ceci, on l’oublie trop facilement, peut se faire selon un processus parfaitement démocratique. En quoi la démocratie protégerait-elle du populisme, puisqu’elle est par définition “le gouvernement du peuple” ? Aucune éthique n’est attachée par défaut à ce mode d’organisation. Les règles morales sont aussi celles choisies par la majorité.
Quand l’identité nationale est confortée, au contraire, ses membres font davantage confiance à leurs représentants pour intégrer la nation à d’autres. L’Europe s’est construite ainsi : grâce à des peuples confiants dans leur identité nationale. La solidité des cercles sociaux existants est la condition préalable et nécessaire à l’établissement de cercles plus larges. La sociologie, en termes de complexité, fonctionne comme la science des matériaux : il faut des atomes stables pour former des molécules, des molécules stables pour former des cellules, etc.
Un organe peu préoccupé de ses cellules
Pourquoi l’Europe est-elle devenue un cercle fragile ? La plupart des identités nationales ont été sévèrement bousculées, non pas à cause de l’élargissement du cercle européen mais par des immigrations internes rapides accompagnées d’un défaut d’intégration manifeste, qui ne caractérisait pas les vagues d’immigration précédentes. Ce n’est pas le grand cercle européen qui est malade mais les cercles nationaux. Les “cellules” de “l’organe” Europe sont en crise. Elles doivent se diviser ou dégorger leur mal-être identitaire avant de reprendre le processus de collaborer ensemble.
L’Europe pourrait alors mourir d’empêcher ses cellules de s’assainir, de reconquérir leur stabilité identitaire. Le tort de Bruxelles est de promulguer des lois qui bloquent toute évolution de la citoyenneté à l’intérieur des nations, encourageant les groupes majoritaires à réagir et s’émanciper de l’Europe. De telles lois la font éclater de l’intérieur. Elles ne doivent pas anticiper la capacité des nations à surmonter leurs difficultés identitaires mais constater leur réussite en ce domaine. Nous devons voir l’Europe comme la consécration d’un processus ontologique qui progresse et non comme un idéal devant s’imposer par la force à ses membres. Les lois européennes doivent protéger les identités nationales et non les fragiliser. Tout un renversement de perspective pour des décideurs souvent trop détachés de leur identité nationale.
Et le vrai mourant, le collectivisme, qui s’en préoccupe ? Prochainement, un diagnostic.
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Quand la justice apparaît comme le cancer de la démocratie…
Si la démocratie meurt, c’est de ne pas respecter ses propres règles, par exemple défendre ceux qui les ignorent, accepter des avocats pour ceux qui les rejettent, ceux qui n’en gardent que le droit à la défense personnelle et se moquent de la défense des autres.