La dissolution est un référendum
Macron a dissous l’Assemblée pour mettre les français au pied du mur : « Voulez-vous vraiment être gouvernés par l’extrême-droite ? » Il aurait du faire la même chose en Calédonie : « Voulez-vous vraiment être gouvernés par des indépendantistes extrémistes ? » Provoquer des élections, déclarer quelques têtes inéligibles pour incitation à la haine et la guerre civile, et imposer aux partis une parité des femmes dans les candidatures, voilà une réaction forte qui aurait rétabli l’ordre sans faire accuser l’État d’autoritarisme. C’est redonner la parole au peuple en le considérant comme un seul peuple. Les gens apprécieront.
Imposer une présence plus forte des femmes au Congrès ? Pas pour donner satisfaction aux féministes. L’idéalisme s’efface derrière le pragmatisme : les femmes sont plus douées en matière de collectivisme. Elles ont une aptitude naturelle à gérer les egos masculins difficiles, en commençant par celui qui braille sur leur sein.
Une vague d’élues pas assez féminines
En France les féministes ont suivi une mauvaise stratégie. Elles n’ont convaincu en rien de la supériorité des femmes en politique, se contentant d’imposer leurs candidates. Pourquoi ? Parce que ces élues se sont transformées en coqs encore plus hérissés d’ergots que ceux déjà présents. De coeur, l’Assemblée n’a jamais été aussi masculinisée au cours de l’Histoire. Si les femmes se comportent exactement comme des hommes, quel intérêt à imposer un contingent XX plutôt que laisser les électeurs juger des compétences ?
La véritable supériorité des femmes se serait manifestée dans la constitution d’un grand parti centriste les réunissant toutes, au sein duquel elles auraient débattu sereinement de leurs tendances, repoussant aux franges extrêmes les egos masculins trop forcenés. Peut-être cela finira-t-il par arriver ? Notons que ce sont des Marine et Giorgia qui ramènent l’extrême-droite vers le centre et la rendent plus fréquentable.
Le pouvoir aux mamans calédoniennes
À la traîne et perdu dans son océan, le Caillou pourrait hâter le pas en matière d’évolution politique. Il émergerait plus vite de son ornière actuelle. Son congrès, trop masculin et trop peu soucieux de collectivisme, gagnerait à être submergé par une vague féminine. La plupart des calédoniennes sont encore de vraies mamans. Dans l’adversité donnons-leur le pouvoir de nous représenter et retisser le destin commun.
Comment éviter la mutation en coqs qui a touché celles de métropole ? Rappelons que la vraie maman est celle qui affiche son désespoir quand sa progéniture dérive, pas le parent qui s’énerve et astique. Il n’est plus obligatoire dorénavant de faire coller les rôles de père et mère au sexe idoine, mais ne les mélangeons pas comme s’ils pouvaient être exercés aussi bien par la même personne. Une maman désespérée est plus efficace qu’un gendarme pour qu’un gamin éprouve de la honte et change volontairement de chemin.
Reste un problème : Quelle maman saine d’esprit aura envie de se lancer dans la politique ? Il faudrait qu’elles le fassent en nombre, et se mettent en cercle avec leurs chariots pour se protéger des sauvages qui décochent une pluie de flèches ! Et il y a des réformes plus profondes à faire en politique, dont je parlerai avec vous, si vous êtes curieux, dans un prochain article. Le meilleur soutien populaire, pour un représentant, n’est pas de l’avoir réclamé à ses électeurs, mais se voir propulsé par eux sur le devant de la scène. La vraie source d’une démocratie participative ?
La représentation peut bloquer l’organisation
Davantage de mamans sur la scène suffira-t-il à assainir le milieu politique et avoir des élus concentrés sur leur travail de représentation et d’organisation collective ? Malheureusement non, car représentation et organisation sont déjà des rôles conflictuels. Le problème apparaît caricatural avec l’exemple de certains syndicats : une profession se fait représenter par ses éléments les plus radicaux, qui bloquent fréquemment la meilleure solution globale, fragilisant un peu plus l’entreprise et le destin de ses employés. Idem en politique : les radicaux bloquent les solutions consensuelles et gênent le travail d’organisation.
Imaginez deux assemblées d’élus représentant toutes les tendances. L’une est constituée d’individualistes qui refusent tout compromis, l’autre de collectivistes tous attachés à ne léser aucune tendance. Laquelle à votre avis organisera au mieux un pays ? Notre Congrès ressemble malheureusement trop au premier type. Recomposons-le. Ne bloquons pas le moteur d’organisation par une représentation trop radicale.
Rendre publics les biens des élus et leurs liens d’intérêt
Concentrés sur le travail de représentation, nos politiciens ? Il faut avoir en tête les intérêts de ses électeurs et non d’autres qui les parasiteraient, y compris ses intérêts personnels. Les uns et les autres se mélangent lentement et l’élu se retrouve rapidement sur une pente glissante, sauf s’il a pris soin de s’auto-observer, de s’être doté d’un gendarme intérieur. Comment l’aider ?
Rendre publics biens et liens d’intérêt est une nécessité plus vitale dans les petites sociétés que dans les grandes nations. Certes dans les premières tout se sait ; nous pourrions donc supposer que la publication est moins utile. C’est négliger cependant l’importance de cette publicité pour l’élu lui-même. Sa situation lui est renvoyée en miroir. Moins facile de s’auto-convaincre que ses liens d’intérêt sont accessoires. Ils ne le sont pas pour ses administrés, et la publication en fait une évidence.
Hiérarchie à l’occidentale ou anarchie tribale ?
Nous avons effleuré un problème crucial en politique : les bons représentants ne font pas forcément les bons organisateurs. La compétence des premiers repose sur leurs qualités humaines et celle des seconds sur des talents techniques. Il faut des mamans et des ingénieurs. Trouver des gens qui réunissent les deux qualités est déjà une gageure dans un grand pays, a fortiori c’est presque tâche impossible en Calédonie. Attribuer simultanément ces deux rôles à nos gouvernants c’est être sûr qu’ils seront médiocres au moins dans l’un des deux. Ainsi se plaint-on de l’un qu’il est trop technocratique, de l’autre qu’il ne connaît rien aux affaires économiques.
Un tel système conduit à perdre confiance dans la hiérarchie, parce que son incompétence est manifeste, et à se dire que l’on ferait mieux soi-même. Raison principale du succès des idées anarchistes. L’anarchie n’a rien à voir avec la démocratie participative ; c’est une collection de mains levées : « Je veux être Calife à la place du Calife! » Nous avons vu qu’elle déresponsabilise plutôt qu’elle responsabilise. Il faut donc redonner un peu de séduction à la hiérarchie face à l’anarchie.
De la tribu à la nation
L’anarchie est un bon système tribal, qui périclite rapidement quand la population s’élargit et que le mode de vie se complexifie. L’individu ne peut plus trouver en lui-même toutes les compétences et est obligé de les déléguer. Certaines compétences restent locales et d’autres sont générales, créant un étagement. La hiérarchie s’impose d’elle-même à toute société qui veut grandir en restant structurée. Sauf à rester confiné dans son village, en mode Le-Reste-Du-Monde-N’Existe-Pas, le calédonien a besoin d’une hiérarchie efficace.
Il est ainsi en droit de réclamer à sa hiérarchie des démonstrations de compétence et pas seulement un diplôme ou une nomination qui, en l’absence de compétence, ne valent guère mieux qu’un ancien titre de noblesse. Le problème est particulièrement cru en Nouvelle-Calédonie ou n’existe aucun professionnalisme chez les décideurs publics. Beaucoup ont grimpé facilement la hiérarchie jusqu’à leur niveau d’incompétence. À se demander s’il ne faudrait pas confier les rênes gouvernementales à une entreprise privée, dont les électeurs seraient actionnaires, et ainsi bien plus comptables des résultats.
Nous éviterions ainsi le problème d’une Calédonie étouffée économiquement par son administration, sans possibilité d’investir, parce que ses moyens sont plus qu’engloutis par ses frais de fonctionnement. D’où vient ce mal chronique et répandu dans l’ensemble des îles ?
Une Calédonie étouffée par son administration
Dans une petite société îlienne, le clientélisme s’accroche à la vie politique comme un lichen à son rocher. Impossible de l’en débarrasser. L’une des récompenses les plus faciles à distribuer, pour un politicien, est une place dans l’administration qu’il va diriger. Elle ne coûte rien à son parti. C’est l’argent de l’État, donc du collectif, qui finance une faction. Quand les factions se succèdent, toutes en profitent et plus aucune ne s’en plaint. Effet indésirable : l’administration devient obèse, d’un poids insupportable pour une économie îlienne. C’est bien ce trouble métabolique qui afflige la Calédonie.
La pléthore de fonctionnaires n’a pas que des mauvais côtés. En arrivant ici il y a vingt ans, j’ai été stupéfait de la rapidité avec laquelle on peut effectuer les démarches légales à Nouméa, comparativement à la métropole. En une matinée, j’en avais fini des formalités pour démarrer une activité médicale. Je me suis retenu d’embrasser chaleureusement le dernier fonctionnaire ! L’administration a également géré remarquablement la transition numérique. Le site du fisc est un modèle du genre, un des rares épargnés par les dysfonctionnements et les impasses si fréquentes pour les novices.
La Draculadministration peut rendre un pays exsangue
Néanmoins vue de l’intérieur, l’administration présente un autre visage. L’on est facilement sous-employé ou au contraire, parvenu à son niveau d’incompétence. Personne n’est licenciable. Votre supérieur vous asticote parce que vous manquez de productivité ? Déclarez-vous déprimée ou intentez un procès pour harcèlement, votre salaire vous sera versé pendant des années sans mettre le nez au travail. Le fonctionnaire est à la fois prisonnier d’une hiérarchie rigide et enfant-roi. Tout cela n’aide guère au fonctionnement optimal de l’entreprise publique. Est-ce une surprise que les bons gestionnaires cherchent à externaliser le maximum de services ?
Faire du social, réduire les inégalités, trouver des jobs aux moins favorisés et aux handicapés ne doit pas se faire au détriment de l’efficacité de l’entreprise publique. La Calédonie n’en a pas les moyens. Elle ne doit pas dissimuler des transferts sociaux dans une pléthore de postes administratifs. C’est propre à décourager l’investissement privé, sa principale source de revenus. Et les pays qui n’ont pas d’investissement privé local sont des proies faciles pour toute nation débarquant avec ses gros capitaux. D’autres communautés du Pacifique en ont fait l’expérience amère. Adieu l’indépendance !
La Fontaine en politique
Le propre de la politique-spectacle est de donner tout, trop vite, sans les moyens, sans la peine. Tandis que le gestionnaire prévient, thésaurise, vérifie que le boeuf peut tirer la charrue. La cigale et la fourmi, l’une enchante et l’autre évite les hivers difficiles. Il ne s’agit pas de la fourmi contre la cigale, mais de deux manières complémentaires de voir nos vies, d’un conflit productif à condition de répondre à une question délicate : Comment la fourmi en chef peut-elle assurer la subsistance de la cigale sans que toutes les autres fourmis se mettent à aller chanter elles aussi ?…
J’ai défendu un centrisme dur en politique. Ce n’est pas éradiquer les extrêmes mais s’en servir pour trouver le meilleur équilibre. La même méthode peut être adaptée pour gouverner. Le centre dur, c’est la gestion des moyens, le ministère de l’Économie, le bastion des fourmis. De quels moyens d’action dispose-t-on ? Jusqu’où est-il raisonnable de s’endetter ? Qu’est-ce qui est plus intéressant à acheter ou à fabriquer soi-même ? Quelle part des ressources peut être redistribuée socialement sans gripper la machine qui les produit —autrement dit quels dividendes donner aux citoyens-actionnaires ? Ce ministère est très technique et il faut le confier aux meilleurs ingénieurs financiers que l’on puisse trouver sur le marché international.
Une fusée calédonienne a planté le drapeau sur Tycho !
Les compétences locales peuvent être installées autour, sur les postes excentrés qui gravitent autour du centre économique. Les représentants, les congressistes, jouent ici leur rôle : répartir le solde positif de l’activité en tenant compte des désirs populaires. Santé, éducation, culture, police, retraites, etc. Que souhaite-t-on voir améliorer ? Les calédoniens peuvent décider d’envoyer une fusée sur la Lune ! Mais nous n’aurions peut-être plus que des boîtes de Doliprane dans les pharmacies. Tout désir empiète sur les autres. La gestion de nos désirs concurrents, ce n’est pas aux ingénieurs qu’il faut la demander mais à nos congressistes, aux gens qui nous ressemblent.
Plus facile ainsi de s’approprier la frustration de ne pas tout avoir. Et zut ! Je suis sûr que cette fusée ne va jamais décoller…
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