À quand l’épicentre politique calédonien?

Plateau technique et salle d’attente

Le passage de Louis-José Barbançon sur Nouvelle-Calédonie 1ère est l’occasion de parler de la période difficile que traverse le pays avec ma sensibilité de non-natif au contact de toutes les cultures locales, grâce à un cabinet médical à Nouméa et un autre en brousse. Mes salles d’attente sont parmi les rares endroits où tous s’assoient côte à côte et ont strictement la même importance.

Barbançon se veut un centriste, mais son discours clairement ne l’est pas, quand il présente les revendications d’une seule des parties. Il fait partie de ce centre mou et affaibli qui se tient au milieu des radicaux, Barbançon tourné vers les indépendantistes et Calédonie Ensemble vers les loyalistes, un centre vestige du vivre ensemble qui a perdu toute initiative à ne vouloir fâcher personne.

Qui veut se faire infantiliser?

Le discours de Barbançon est représentatif de ce côté débonnaire en vérité infantilisant pour les kanaks. N’est-ce pas les traiter en gamins que d’éviter toute critique de la coutume, toute alerte sur la violence des jeunes ? N’est-ce pas les traiter en bons sauvages que les réduire à des “enfants de la terre” qui chercheraient à protéger leurs racines ?

Ce n’est plus l’attente d’une partie d’entre eux et en particulier pas des jeunes qui forment le coeur de la mobilisation actuelle contre le projet politique calédonien. Peut-être Barbançon connaît-il bien l’histoire passée de la Calédonie, mais il ne comprend pas la récente. Ce n’est plus sa génération.

La colonisation a achevé son travail dans les esprits

Car c’est un conflit générationnel. Les leaders indépendantistes eux-mêmes commencent bien tardivement à le sentir. Ils sont en train de se faire déborder par leur base, par la collection de gangs que devient la jeunesse kanak. Les anciens voulaient retrouver leur dignité, celle d’une génération frustrée par la morgue des blancs. Les jeunes veulent simplement le pouvoir, et beaucoup n’ont pas l’intention de travailler dans les entreprises des blancs pour l’obtenir.

La violence suffit. Le contentieux colonial n’est pour ceux-là qu’un prétexte. Ils se moquent de la coutume et du respect pour les vieux. Ce sont des enfants qui désirent les nouveaux jouets qui leur passent sous les yeux, bagnoles, mobiles, ordis… trop coûteux. Ils ressemblent bien davantage au colonisateur blanc que leurs parents. Ils en ont copié le pire, avidité, bêtise et racisme.

Quand on arrête les sacrifices, c’est pire!

Très communautaires, les kanaks ne sont pas un peuple qui élève des générations de méchants quand ils sont laissés en paix. Mais ils en ont une à présent, et elle a vingt ans. Ce n’est plus d’un centre mou dont la Calédonie a besoin, mais d’un centre uni et solide contre ces futurs gangs mieux organisés qui pourraient transformer le pays en une réplique de Haïti et terroriser les gens quelque soit leur couleur.

Barbançon, encore: « Les gens d’ici ont fait des sacrifices ! ». Cela signifie-t-il pour lui qu’ils ne sont plus prêts à en faire ? Car la vie n’est qu’une suite interminable de sacrifices pour la majorité d’entre nous, conséquence d’un positivisme naturel : nous n’arrêtons pas d’espérer une vie meilleure. Un historien ne devrait-il pas le savoir mieux que personne ?

L’étranger au nez camus

Il existe un côté avantageux à la qualité d’étranger en Nouvelle-Calédonie, qui est constamment occulté. C’est : étranger au contentieux calédonien, à la vieille rancune entre ex-colonisés et descendants des colonisateurs.

Je vois depuis vingt ans les kanaks et les caldoches arc-boutés sur ce contentieux passéiste. Un bel épouvantail, bien dégoûtant ! Qui évite d’avoir à regarder par derrière les autres problèmes, bien plus actuels, et impliquant cette fois toute la population, où qu’elle soit née : les conflits entre campagne et ville, nature et système, tribu et nation, génération Z sans espoir et boomers qui semblent l’avoir volé.

Les lamentations ne franchissent pas le mur

Les calédoniens de souche réalisent-ils à quel point il est stérile de vouloir résoudre leur contentieux entre eux, au prétexte qu’il ne concerne qu’eux ? Cette folie n’est pas loin de celle des palestiniens et israéliens face à leur mur de lamentations.

Aucun assouplissement n’est envisageable, sauf s’il existe un intérêt majeur à réaliser l’unité et dont chaque partie aurait une conscience aiguë. Palestiniens et israéliens n’ont pas de contrainte de cet ordre. Ils ont chacun leurs soutiens et gagnent en fait davantage d’importance avec eux que dans la disparition du conflit.

Les extrémistes gagnent mieux leur vie

Il en est de même pour kanaks et caldoches. Ils existent davantage par leurs soutiens au conflit que par le vivre ensemble, qui ne promet pas de places aussi intéressantes aux parties. Les indépendantistes kanaks sont les premiers concernés, enrichis à la fois en subventions françaises et en convoitises internationales par le contentieux. Que de bénéfices !

Les caldoches en tirent un avantage plus discret, une résistance aux visées des fonctionnaires et capitalistes métropolitains, qu’ils détestent. La chose s’est vue dans le clivage politique au sein des loyalistes entre la brousse et les nouméens, les uns partisans d’une Calédonie dans la France, les autres d’une France dans la Calédonie…

Rénover le centre

La crise économique actuelle bouleverse les équilibres. Elle peut être positive en étant cet intérêt majeur qu’il y aurait à s’entendre. Mais deux issues contrastées sont possibles : soit une révolte kanak sanglante qui risque de finir en partition du territoire ; soit un accord enfin sincère et intéressé entre les parties, et un pays soudé. Il y a encore de l’espoir. Malheureusement il n’est pas dans la CCAT ou l’Union Calédonienne, dont le nom est devenu une provocation.

Où mettre cet espoir ? Où, sinon dans un centre dur, en des représentants qui vocifèrent leur rejet des extrémistes autant que ceux-ci vomissent leur dégoût. Le centre manque de stature, de leaders charismatiques. C’est vrai qu’il n’est pas aidé non plus. Ni les foules des indécis ni celles des effacés et des tranquilles ne font de bons soldats. Ils jettent prestement les armes devant les violents, votent pour le plus pressant.

Qui va faire trembler la terre calédonienne?

C’est pourquoi rassembler les bataillons des centristes, des partisans du vivre ensemble, demande de les protéger vigoureusement des extrémistes. Ne leur laissons pas l’apanage du discours agressif. Opposons la fermeté à la violence. Arrêtons de prôner la modération mais engageons au contraire une lutte active contre les excès. Utilisons le même langage, montrons les exigences du centre. Ne soyons plus le paillasson sur lequel le radical vient essuyer ses souliers souillés de haine.

Le centre doit être épicentre, celui du tremblement de la terre calédonienne, qui effondrera les prétextes fallacieux, les revendications torchées, les morgues hautaines et fragiles, pour ne laisser que le meilleur de l’âme de notre île.

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