Est-ce Trump le malade ou le trumpisme une maladie?

La mauvaise cible

On glose beaucoup sur Donald Trump, détaillant son égotisme forcené et faisant du personnage l’épicentre des problèmes des démocraties occidentales. Mais Trump est un personnage falot, dépourvu du moindre intérêt. Nous en croisons des millions du même genre, accoudés à un bar, ou dévidant leur fiel sur un canapé dans un coin de soirée, ou encore jouant au petit chef dans un bureau subalterne, devant un sous-fifre désarmé. Trump est un méchant staphylocoque responsable d’un énorme furoncle en plein milieu du nez de l’Oncle Sam. Mais qui a permis à la bactérie de proliférer ainsi ? N’est-ce pas le contexte, la prolifération du trumpisme qui est la vraie maladie ? Que révèle Trump de la société américaine ?

Si le trumpisme est une maladie il faut en comprendre la physiopathologie. Pourquoi l’organisme social ne s’est-il pas défendu ? Les microbes agressifs ont toujours menacé les démocraties. Pourquoi l’américaine souffre-t-elle d’apparente incompétence immunitaire ? Trump parle à ses électeurs comme s’ils étaient de profonds crétins, tandis que les électeurs reçoivent ce discours comme s’ils étaient des chefs d’état félicités sur leurs convictions. Comment un décalage aussi absurde est-il possible ?

Plus facile de s’en prendre à Trump qu’à la société américaine

Je n’insisterai pas sur les bêtises que Trump sert à chacun de ses tweets ou prises de paroles, nous en sommes inondés. La technique du communiquant n’est pas neuve : il dit ce que ses auditeurs ont envie d’entendre et inclue dans ce plat merveilleux des ingrédients immangeables, mais qu’ils absorbent quand même. Un militant politique a toujours été menacé d’empoisonnement par son appétit. Ce qui est nouveau chez les électeurs est une méfiance étonnante devant l’incitation à réfléchir par eux-même, remplacée par un enthousiasme servile à se faire traiter comme des idiots. Comme si désormais faire le piquet dans un coin de la classe avec un bonnet d’âne était devenu une consécration !!

Le renversement est profond. Partager une vision intelligente des affaires sociales avec un analyste plus doué que soi n’est plus un plaisir. C’est une vexation inacceptable si notre opinion est contraire. Nous ne supportons plus qu’un autre pense mieux, qu’une hiérarchie des opinions s’impose à la nôtre. Un Trump n’avait aucune chance de s’implanter dans une démocratie authentique, organisée et hiérarchisée, tandis qu’il n’a aucune difficulté à le faire dans une anarchie, qui est le vrai visage de la société américaine contemporaine.

L’origine de l’incompétence immunitaire

L’immunité est un système, c’est-à-dire un collectif cellulaire. L’immunodépression n’implique pas que les cellules soient devenues individuellement incompétentes ; c’est leur organisation qui n’est plus coordonnée. Elles ne sont plus fédérées par l’intérêt commun, la préservation de l’organisme global. C’est bien le cas de cette société contemporaine. Certes l’individualisme a continué à croître depuis l’époque des pionniers, jusqu’à l’ultra-individualisme qui consiste à laisser les armes en libre circulation en l’absence de guerre, pour se défendre contre ses propres concitoyens. Néanmoins, même si l’égotisme d’un Trump trouve un écho chez la plupart des américains, ce n’est pas lui le problème.

Le bouleversement est l’effondrement du collectivisme. Il était pourtant aussi vigoureux que l’individualisme aux débuts de la nation, car il n’était pas possible de s’en sortir sans appartenir à de petites communautés, au sein d’une grande. Mais c’est fini. L’individu a tant de droits à sa disposition qu’il n’a plus besoin d’être solidaire, plus besoin de concilier le moins du monde son opinion avec celle de son prochain. Il peut vivre dans un univers entièrement solipsiste, seule réalité acceptable, et toutes les relations sont filtrées, conventionnées, adoubées ou éradiquées.

Leader du wokistanat

Le trumpisme est une maladie de société qui fait émerger un type banal parce que la banalité est placée sur un piédestal. Les bonnets d’âne n’existent plus. En absorbant une bêtise, les gens se décernent au contraire une couronne flamboyante. S’entendre dire ce qui nous plaît c’est être traité comme on le mérite, récupérer son importance. L’adoration de soi, de ses opinions personnelles, est la religion officielle. Dieu sert de paravent pudique à la divinisation que l’on a accordé à sa propre vision du monde. Le discours solidaire du fils, de Jésus, s’est éteint. Ne reste que le discours du père, autoritaire, qui n’est pas l’intérêt du Tout mais de l’Un : soi-même. Des deux, pourtant, le fils était clairement le plus proche de l’humanité.

Trump s’est fait le leader d’une bande de dieux auto-proclamés, qui n’acceptent plus d’abandonner la moindre parcelle de pouvoir personnel. Des dieux apeurés. Wokistes. Surarmés pour faire face aux wokistes d’en face. L’Amérique est devenue le Wokistan. Ce wokistanat sème la terreur et la confusion sur le monde. Qu’il en abandonne le contrôle à un homme sans vision comme Trump et ce sera son effondrement.

Le bonnet d’âne est désormais au centre de l’estrade, faisant la classe aux élèves américains. Il ne leur apprend rien, se contentant d’exalter leurs convictions primaires. Aucun débat n’agite la classe. Tous ont le poing dressé…

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