L’anarchisme rend-il les individus plus responsables ?

En ce vilain moi de mai 2014, Nouméa brûle et accumule les caillots sous forme de barricades sur la grande majorité de ses rues. Une insurrection kanak ? Plutôt des gangs de jeunes ravis d’être lâchés sur la ville. Il y a bien eu un mot d’ordre pour lancer l’affaire, mais la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain) en a largement perdu le contrôle. Destructions et pillages concernent surtout les entreprises et les bâtiments administratifs en banlieue. Les kanaks ont brûlé leurs propres quartiers. Certains jeunes tentaient de protéger leurs résidences et leurs commerces de proximité contre d’autres descendus de la côte Est, inspirés par un mot d’ordre unique : tout casser.

Les kanaks ont-ils des motifs soutenables dans cette insurrection ? Ce n’est pas ce que nous allons juger ici, mais plutôt la forme de leur action, qui est typiquement anarchiste. Une consigne est propagée et chacun est libre de l’appliquer comme il lui plaît. Il existe bien une organisation par petits groupes mobiles, à la manière du terrorisme, mais qui a surtout pour but de prendre l’ascendant sur des résistants isolés et la foule des anonymes apeurés. La CCAT a des référents plutôt que des chefs : une structure anarchique exemplaire.

La destruction générale a-t-elle servi la cause kanak ? Non, à l’évidence. Elle rassemble les modérés dans l’écoeurement et la démoralisation. Bien des gens vont perdre leur emploi. Le pillage aura enrichi brièvement les manifestants. Puis les classes sociales pauvres le deviendront encore un peu plus. Les riches, eux, seront partis sous des cieux plus accueillants. L’économie locale, déjà malmenée par la faiblesse du cours du nickel, est en passe de couler. Les dirigeants de la CCAT ont la vue courte, néanmoins pas au point de s’aveugler au désastre. Que répondent-ils aux journalistes qui les questionnent à ce sujet ?

Christian Tein, un des porte-paroles, se donne deux excuses : « On n’a jamais dit de brûler les magasins » et « C’est la faute du gouvernement français, ils n’avaient qu’à céder à nos revendications ». La déresponsabilisation portée à son zénith, n’est-ce pas ? Mais pourquoi Tein porterait-il une responsabilité, puisqu’il n’y a pas de chef ? C’est là le grand trucage de l’anarchie dont je voulais vous entretenir : la responsabilité est collective, et ainsi aucune n’est individuelle. Du moins quand on la cherche, elle apparaît tellement diluée qu’elle devient négligeable. Va-t-on mettre ces milliers de jeunes derrière les barreaux ? Impossible. La prison est déjà bondée et il y a d’autres priorités que d’en construire une supplémentaire. La promulgation d’une amnistie est une certitude.

Le collectif se cherche un coupable mais il n’y en a pas. En anarchie, aucune responsabilité n’est plus importante qu’une autre. Ainsi les individus se conforment-ils aux règles générales en fonction de leur morale personnelle. Un dérapage de masse ? Pourquoi quelqu’un en particulier serait-il inquiété à ce sujet, sinon de manière anecdotique ? En redonnant le plein pouvoir de ses décisions à l’individu, l’anarchie lui ôte toutes ses responsabilités vis à vis du collectif. Parler de société anarchiste est un oxymore. L’anarchie n’est pas compatible avec l’idée de société, qu’il s’agisse d’une société kanak ou de toute autre couleur.

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