De la crise politique à la prise d’otage
Nous venons de voir que les idées font défaut à nos politiciens centristes. Mais s’agit-il toujours d’une crise politique ? Une vision plus réaliste, depuis que la CCAT a quitté le débat démocratique, est celle d’une prise d’otages. Une bande terroriste organisée a pris en otage la population calédonienne au complet, kanaks inclus. Les politiciens ont perdu le contrôle. Les gendarmes ne sont pas assez nombreux, d’autant qu’il faudrait leur demander de protéger les kanaks modérés des extrémistes. Impossible de contrôler la bande sans tomber dans une violence insupportable. Elle va jusqu’à recruter des enfants de moins de 10 ans dans ses rangs. Que fait-on ? Donne-t-on, impuissant, entière satisfaction aux terroristes ?
Dans ce contexte les analyses des prises d’otages sont précieuses. Les gouvernements n’accèdent presque jamais aux revendications des terroristes, pour une raison évidente : c’est rendre la méthode efficace et voir se multiplier les prises d’otages à l’infini. Ainsi le premier objectif gouvernemental est se débarrasser des terroristes, et accessoirement sauver les otages. Les régimes autoritaires ne font pas dans la dentelle : ils ne se gênent pas pour faire du site une zone de guerre, peu importe les effets collatéraux. Les régimes démocratiques ont davantage de comptes à rendre et préparent mieux l’opération pour limiter au maximum les pertes en otages.
La première mission est toujours d’attraper les preneurs d’otage
La politique suivie par Macron et les gendarmes métropolitains est plus douce encore. Ici la mission première est protéger les otages calédoniens des terroristes de la CCAT, et accessoirement mettre ceux-ci hors d’état de nuire. Mais là apparaissent les limites de la gentillesse : les terroristes n’étant pas la mission principale, ils ne sont pas appréhendés et restent libres de continuer à menacer les otages. Cause manifeste de l’impasse actuelle. Empêcher l’usage des armes est indispensable, mais laisser les manifestants dans la nature est la raison de l’impuissance gouvernementale. Ce petit manque de fermeté a malheureusement des conséquences critiques.
Certes le préfet a manqué d’effectifs mais est aussi resté dans l’idée d’une crise politique se prolongeant alors que la gestion d’une prise d’otages est toute différente. On ne peut pas laisser les responsables dans la nature, ni se contenter d’emprisonner quelques têtes. La CCAT est une organisation anarchique. Ni autoritaire ni laxiste, la réponse dans cette situation demande un grand professionnalisme. Nous aurions vraiment besoin de l’un de ces spécialistes pour mettre fin à E24.
Avant-projet de réanimation
En parallèle avec la gestion de la prise d’otage, les politiciens ont à préparer rapidement un avant-projet de réanimation du vivre ensemble, d’après trois idées centrales :
1) Marginaliser la CCAT par une déclaration commune des composantes politiques atterrées par l’effondrement du destin commun : « Ceux qui poursuivent les violences ne sont plus représentatifs du peuple calédonien, kanaks compris. Ils ne représentent qu’eux-mêmes et sont une menace pour les autres. Nous ne les défendrons pas devant la justice s’ils persistent. »
Trouvera-t-on des signatures dans un FLNKS terrorisé par la CCAT ? Ses responsables sont-ils assez courageux pour refuser la loi des gangs ? Le désordre qui perdure énerve à présent autant de kanaks que de blancs, sans parler des autres ethnies. La radicalisation de la CCAT fait chuter sa popularité, ce qui pourrait permettre aux composantes modérées de réagir. Quant à l’Éveil Océanien, il a une responsabilité importante dans E24. Le parti communautaire wallisien s’est rangé prématurément aux côtés des indépendantistes et a voté le 13 mai la demande de retrait du projet constitutionnel, apportant une caution passive à la réaction violente de la CCAT. Une très large majorité de wallisiens sont aujourd’hui en désaccord profond avec Milakulo Tukumuli, qui a mené cette politique. La signature de l’Éveil Océanien devrait être plus facile à obtenir.
2) Regagner la bataille de la désinformation. La propagande est le nerf de la guerre. Nos politiciens ont naïvement laissé la désinformation inouïe de la CCAT envahir les réseaux métropolitains : les manifestants tirés comme des lapins, des dizaines de morts cachés, la Kanaky piétinée par le joug colonial, etc etc. En s’accrochant au prétexte de ne pas envenimer la situation, la réserve de nos centristes devient une capitulation, car les autres ne se privent pas de le faire. Les appels à la sagesse résonnent creux. En répondant à l’infox par le vide, espère-t-on qu’elle sera avalée par lui comme par un trou noir ? Ce n’est pas la règle en métaphysique politique. Au piétinement de l’éthique doit répondre un autre piétinement et non un air désolé.
3) Envoyer des médiateurs sur tous les barrages. Montrer ses muscles à l’adversaire pour gagner son respect, mais aussi lui tendre la main. Seul un travail de fourmi sur les barrages mettra fin à leur éternelle résurrection. Il existe suffisamment de sympathisants politiques au centre pour s’en charger. Des gens qui viennent discuter avec des mandarines ou des plaques de chocolat ne font pas sortir les barres à mine et les postures de combat. Tous les calédoniens doivent s’impliquer, et montrer aux radicaux qu’ils ne représentent pas la majorité.
Il ne s’agit pas de s’attaquer au symbole “lutte pour l’indépendance” mais de transformer sa cible, le rediriger vers “l’indépendance individuelle”, bien plus avantageuse pour les jeunes kanaks que la dépendance à un idéal dévoyé par des politiciens.
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