La Kanaky est-elle en train de plonger dans la barbarie ?

Ce texte n’est pas gentil. Mais ce n’est pas un mouvement d’humeur. Je vais expliquer pourquoi des gens visés par des réflexions méchantes peuvent en sortir valorisés plutôt que dévalorisés. Dans la lignée des articles précédents, celui-ci se positionne sur un centrisme dur à propos des Évènements de 2024. Centrisme dur ? Il ne vise pas à rapprocher des positions clairement extrémistes mais montre au contraire qu’elles sont intenables, quelle que soit la couleur de celui qui la soutient. Le centre doit critiquer vertement l’incurie blanche comme la kanak.

Dans ces articles je mets en exergue une démission : celle qui a constitué à sacraliser les Accords de Nouméa plutôt que comptabiliser pas à pas les progrès du vivre ensemble. Les Accords n’ont pas empêché le Caillou de replonger dans la névrose de l’indépendance et les référendums ont déclenché la grande crise d’hystérie actuelle. Un élargissement du corps électoral sans le raidissement déjà causé par les référendums n’aurait pas causé tant d’histoires. La faute aux classes politiques blanche autant que kanak, guère investies par l’importance de leur rôle : se disputer de manière constructive, au sommet des institutions, pour que la bagarre ne descende pas dans la rue. Gouverner c’est prévoir, or ces nouveaux Évènements ont fait tomber tous nos politiciens de leurs chaises.

C’est néanmoins la Kanaky radicale qui a commencé à nous montrer son pire visage, avant que la France rudoie en réaction la CCAT et lui envoie ses gendarmes. Peut-on se plaindre d’une présence tricolore musclée quand on a tout fait pour la faire débarquer ? Les radicaux avaient-ils une bonne excuse ? Le dégel allait-il véritablement bouleverser le destin commun ? Tous les observateurs s’accordent à dire que non. D’où la question : la Kanaky est-elle en train de replonger dans la barbarie ? Suit-elle ceux qui prônent la violence ou la négociation ? Y a-t-il une ou des Kanaky, incapables de parler d’une seule voix ?

Pour certains le simple fait de parler de barbarie montre que le blanc n’est pas encore débarrassé de sa mentalité coloniale. Mais ceux-là habitent des réseaux, c’est-à-dire des petits nuages. Lequel d’entre eux est descendu sur Terre au milieu des démonstrations bien concrètes de la barbarie ? Ont-ils pensé à inscrire le Réel en ami ? En Calédonie même, les gens qui n’ont pas été au contact direct des Évènements peuvent avoir une opinion différente de ceux ayant traversé les zones détruites et parsemées de manifestants rigolards. Perdus dans les réseaux, nous sommes devenus habitants virtuels du monde réel.

Dans Le Verbe contre la barbarie, Alain Bentolila dit : « À nos enfants, nous devons apprendre que la langue n’est pas faite pour parler seulement à ceux que l’on aime, mais qu’elle est faite surtout pour parler à ceux que l’on n’aime pas. C’est en leur transmettant avec autant de bienveillance que d’exigence les vertus pacifiques du verbe que l’on peut espérer qu’ils en viennent aux mots plutôt qu’aux mains ».

Les kanaks ont un verbe mais encore terriblement frustre, divisé en plus d’une vingtaine de dialectes qui n’ont pas été interfacés pour produire un dialecte plus complexe et plus riche. Son développement est loin d’être suffisant pour gérer les rapports avec les blancs et leur société compliquée. Il est surtout bloqué dans son développement par une coutume anachronique. Protéger l’identité kanak, quelque part, c’était rendre inéluctables ces nouveaux Évènements. Ce constat ne vient pas des blancs restés dans un mode de vie ségrégationniste mais bien de ceux installés depuis longtemps au carrefour des deux cultures et qui ont essayé de les rapprocher. Que faire contre la barbarie ? Que faire en l’absence de verbe chez l’autre, quand votre seule apparence éveille déjà la méfiance chez lui ?

Une fonctionnaire des services sociaux de la Province Sud a fait la liste, dégoûtée, des mesures mises en place depuis de nombreuses années pour favoriser les jeunes kanaks. Elle en énumère plus d’une soixantaine, dans tous les domaines, bourses, études, sports, arts, etc. Impressionnante discrimination positive qui laisse pantois, avec au final cette seule conclusion possible : quelque chose de fondamental, à propos de ces jeunes, n’a pas été compris. Ils sont vus comme des êtres rationnels, Citoyens du Monde en puissance, comme les petits blancs. C’est une puissance qu’ils n’ont pas. Ils ne disposent pas d’un verbe assez développé pour s’en emparer. L’effort a été vain.

L’absence de verbe se traduit par la grande difficulté à trouver des accords au sein des kanaks eux-mêmes. L’unité n’existe que dans le ‘non’, dans l’opposition au blanc, dans la destruction. Nul besoin de verbe pour casser, il en faut pour construire, et sa carence explique l’absence de projet kanak commun, la multiplication des groupuscules qui fonctionnent comme des gangs et sont impossibles à fédérer. Encourager les kanaks à voter oui à l’indépendance est tâche facile, leur demander de s’entendre sur un projet post-indépendance est une gageure. La barbarie est l’absence de complexité, l’impossibilité d’étendre sa société au-delà du clan. On peut fédérer les clans autour d’une phase destructrice, rien d’autre. Chacun s’approprie ensuite sa part des ruines. La coopération est terminée.

Faire l’effort d’aller d’aller discuter dans les quartiers est l’une des mesures que nous verrons dans l’article sur les solutions à apporter aux Évènements de 2024. Un tel effort n’est pas avantageux seulement pour les blancs. C’est aussi donner une chance aux kanaks de mieux s’entendre entre eux, au sein d’une famille, d’un clan, d’une aire. La complexité mentale est une structure fragile. Pour l’élever il faut déjà en assurer les bases personnelles, se sentir bien dans l’intimité de son esprit et de ses cercles proches. Pourquoi certains jeunes nous paraissent-ils si incohérents ? Les fondations de leurs esprits sont de guingois, au milieu des difficultés sociales et des carences éducatives. Pour aider à trouver le verbe, commençons par les faire parler d’eux-mêmes. Ne faut-il pas le plus passionnant des sujets pour inciter à convoiter de nouveaux mots?

Ce texte n’est pas gentil et ma compagne ne s’est pas privée de me le dire. Nous virevoltons autour de la politique du centre, tenant alternativement le flambeau de son discours dur ou mou. Pas de radicalité chez nous, heureusement pour la paix du ménage ! Quand elle m’accuse de dureté excessive, j’en suis habituellement flatté, sauf en politique…

Ne suis-je pas tombé moi-même dans la fosse à épines de la généralisation, en parlant de « la » Kanaky et « des » kanaks alors qu’il existe bien des variantes de l’une et des autres ? Il existe pourtant une entité qui mérite ces titres, particulièrement en période de conflit : c’est la conscience kanak collective. Comment réagit-elle aux débordements de l’une de ses composantes ? En se redressant ou en s’aplatissant ? Malheureusement sa fierté ressemble bien trop à de la soumission.

Nulle part vous ne lirez « les kanaks sont des gens stupides ». Au contraire je suis persuadé que tous répondront correctement à cette petite fable morale : Si un enfant convoite le jouet d’un autre parce qu’il ne peut avoir le même, et que fâché il se précipite pour le briser, a-t-il gagné quelque chose ? Non, répondez-vous. Les deux enfants sont perdants. Quelque chose qui aurait pu se partager n’existe dorénavant plus, ni pour l’un ni pour l’autre. La jeunesse kanak a brisé le jouet. Tout le monde peut tirer, individuellement, cette conclusion. Seule la conscience collective peut la tronquer bassement.

De fait cet article n’est pas gentil… pour la conscience collective appelée Kanaky, et non pour les kanaks eux-mêmes, capables du même raisonnement que les autres, mais étouffés par cette conscience tyrannique. Si cet article parvient à la relâcher et à redonner un peu de liberté à la pensée individuelle, alors il l’aura valorisée et non dévalorisée.

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1 réflexion au sujet de « La Kanaky est-elle en train de plonger dans la barbarie ? »

  1. L’évolution de la Kanaky peut être résumée dans cette profession de foi des chefferies kanaks :
    « Ce n’est pas aux Kanak de s’adapter à la modernité, c’est au monde moderne de s’adapter à la culture kanak. »
    Problème: Tous les kanaks pensent-ils ainsi ou s’agit-il d’autorités coutumières et en particulier de jeunes chefs préoccupés de sauver leur pouvoir ?

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