Leçons à tirer du 3ème référendum

A propos de la radicalisation

« En se radicalisant, chacun crée le même radical opposé en face de soi ». Cette maxime est maintes fois vérifiée. Un humoriste algérien a dessiné un extrémiste islamiste défilant avec une pancarte ‘Votez Trump’. Effectivement les populistes tels que Trump ou Zemmour font le jeu des radicaux adverses, au détriment des modérés. De même, parmi les indépendantistes calédoniens, ceux qui ont tenu des discours extrêmes (expropriation, gouvernement autocratique par le FLNKS) ont réveillé la raideur des loyalistes et découragé l’idée d’un destin commun.

La radicalisation a néanmoins un avantage : quand vous réclamez à grands cris 1 milliard, alors que vous n’avez droit à rien, vous obtenez quand même 500 millions. En matière d’extrêmes, le négatif n’équilibre pas correctement le positif. La réclamation n’est pas compensée par la dénégation. Il en restera toujours quelque chose. C’est inhérent à notre désir de pouvoir sur le monde : il doit obéir un peu, plutôt que rien. Désir universel, même chez les partisans du non.

Comment éviter les abus de ce biais cognitif ?

Car il ne s’agit pas de tuer notre positivisme, au risque de tomber dans l’apathie. Empêchons seulement les réclamations indues d’enrayer l’essor général, parce que le jeu de la compétition ne serait pas respecté. Tâche déjà difficile. Pourquoi tant de pauvres restent dans la misère ? Parce qu’il existe des riches, croyez-vous ? En partie. Mais surtout parce que les pauvres sont volés par d’autres pauvres, par ceux qui ne respectent pas la répartition solidaire des aides sociales. Existent ainsi deux sortes de pauvres : les vrais, qui ne savent même pas que l’aide existe (je les appelle pauvrets); et les faux, qui le savent si bien qu’ils en récupèrent l’essentiel (les réclameurs).

Abus des extrêmes évités par une fermeté du centre

Les centristes ne sont pas seulement garants de l’équilibre, médiateurs entre radicaux. Ils sont les seuls représentants authentiques du collectif, les tenants de la synthèse. En ce sens ils sont une autorité supérieure aux extrêmes. Le tout indépendant des parties. Ce tout peut déplacer son identité en fonction des parties, mais il reste une fusion, un rétrocontrôle qui s’impose aux parties. En son absence, le conflit n’est plus productif et devient guerre d’annihilation. L’importance du centre est ainsi incontestable, se surimpose aux extrêmes, parce que d’un autre ordre, relevant du choix de la paix sociale. Choix d’une majorité de la population. Si ce n’était plus le cas en Nouvelle-Calédonie et que vous faites encore partie des rares êtres raisonnables, ne reste qu’à partir. Il n’y a plus de pays.

La force de la mère

Les politiciens modérés n’ont jamais assez conscience de cette importance du centre. Ils l’éprouvent dans leur coeur, dans les pulsations d’une fibre collectiviste, mais ils ne la représentent pas suffisamment comme un pouvoir. Parce que ce pouvoir est maternel. Il n’est pas là pour dénigrer ses enfants mais pour les rassembler, leur donner la confiance qui permet de s’ouvrir à l’autre. Douceur vue comme une mollesse par le radical. Il insulte le père (l’extrémiste d’en face) mais se montre méchant aussi avec la mère (la modérée). C’est plus facile; elle ne réagit guère; elle nous aime quand même.

La force de la mère (et du centre) n’est pas dans l’opposition mais dans la déception. La peine plutôt que la colère. Quand le centriste écoute le discours de l’extrémiste, il s’interdit de le renvoyer dos à dos avec l’extrême opposé, ce qui ne fait que l’exciter ; il lui dépeint une autre réalité, la fusionnelle, celle où l’extrémiste est inclus et son adversaire également. Ce n’est pas un mélange mais un résultat. Niveau d’information différent. Noir + Blanc = Gris. Gris n’est pas un mélange : on n’y voit plus ni le noir ni le blanc. C’est autre chose. Une émergence. Dans sa constitution, le noir peut rester noir, le blanc reste blanc. Les proportions peuvent changer et la tonalité du gris varier. Mais il reste une indépendance qui s’impose à ses composants.

Le vrai centriste

Le centriste est déçu si l’extrémiste refuse la réalité supérieure du monde gris. Si une partie du noir décide de s’en retirer, le monde sera un peu plus blanc. Dommage. Fusion moins complète. Société plus instable, parce que certains n’en font pas partie, s’agitent en vain pour la remplacer. Cette fusion n’a d’autre raison d’être que représenter une majorité de gens.

Un vrai centriste s’offusquera qu’un gouvernement soit autre chose qu’une fusion également. Mettre un parti exclusivement au pouvoir, comme le font certains systèmes démocratiques occidentaux, c’est ouvrir en grand la porte aux extrémistes. Ils sont sur le seuil en France, ont gouverné quatre ans aux USA. La Nouvelle-Calédonie a la chance d’être plus collégiale, mais manque de centristes convaincus pour faire vivre l’intérêt supérieur du pays. Quand un gouvernement est fait de membres préoccupés seulement par les intérêts des amis, c’est un capharnaüm sans ligne directrice. Indéracinable clientélisme calédonien, qui abandonne les besoins du pays dans la salle d’attente. Nous manquons de papas gris et mamans grises, au centre, pour régler les disputes des enfants et faire respecter la cause familiale calédonienne dans la jungle des nations. Peut-être, la bagarre référendaire passée, saurons-nous trouver et honorer ces nouveaux bergers ?

Sur les calédoniens

Ils ne comptent finalement pas tant de fanatiques parmi eux. Les idées extrêmes ne manquent pas. Mais le fanatisme est autre chose. C’est interdire toute idée rivale. Se réduire à une colère, être un abcès qui ne peut qu’exploser et détruire. Au contraire soutenir des idées extrêmes sans s’y arrêter, a un rôle positif : elles équilibrent les idées opposées. Le grand écart précise la place du centre. Même les radicaux qui ont fantasmé sur une révolution post-référendum ont rendu service au centre, au vivre-ensemble, en renforçant la nécessité de le trouver. Ils ont été utiles parce que peu nombreux et en nombre équivalent.

La culture occidentale s’en est trouvée un bataillon, heureusement pour elle. Car sa faiblesse est que ses membres intériorisent davantage les conflits. Ce qu’ils extériorisent est déjà un compromis, une position centriste. La culture mélanésienne a des explosions plus concentrées de violence, malgré la parole coutumière. Elle produit peu de radicaux mais ceux-là le sont beaucoup. Étrangers à la parole. Il n’y a que d’autres étrangers pour leur répondre, par le même pesant silence devant les questions qui fâchent. Et faut-il qu’ensemble ils restent en petit nombre. Un trop grand silence précède le cri cauchemardesque de la guerre.

Un virus indifférent à l’indépendance

Elle n’aura pas lieu. Il aura suffi de quelques clivages supplémentaires pour scinder les deux blocs. Indépendance mise en ballotage par un virus, par la virulence également d’une partie de la jeunesse kanak, par les désordres coutumiers, par la sensation d’appartenance fragile de certains blancs à ce pays. Les blocs sont cassés. La majorité des fragments se rassemble et se réamalgame au centre, autour de désirs communs. Quelques groupes d’irréductibles continuent à graviter autour, plus isolés qu’auparavant. La catharsis aura coûté cher, mais sans doute fallait-il en passer par là.

C’est en effet l’absence d’un véritable collectif calédonien qui a laissé croître les problèmes les plus graves du territoire : Écarts de destins entre riches et pauvres. Gangstérisation violence et racisme croissant de la jeunesse kanak, qui menace l’ensemble de la population adulte. Assistance et subventions aveugles aux résultats, impuissantes à changer les statu quo, qui ont seulement créé une clique de riches kanaks clientélistes jumelle de celle des blancs, n’ont en rien rapproché les couches sociales. Il faudrait pour cela un véritable effort consensuel sur les règles et non un transfert entre porte-monnaies.

Sur les politiciens

Pourquoi le discours des politiciens est-il aussi souvent décourageant ? Il touche bien rarement à l’universel. Soit il s’efforce de rester collectiviste et il est vide de sens; soit il est engagé et tombe vite dans l’idiotie par ses omissions évidentes, sauf pour les auditeurs affublés des mêmes oeillères. On a l’impression d’avoir affaire à un gamin coléreux ou boudeur. Les politiciens sont-ils des gamins, déjà par l’envie de jouer au petit chef ? Ou considèrent-ils leurs électeurs comme des gamins, en leur servant ce discours épuré, tout en prétendant le contraire bien sûr ?

Les deux explications tendent à se rejoindre. La discrimination positive envers l’électeur est devenue incontournable. On l’encense. Parce qu’il délègue de plus en plus difficilement son pouvoir, critique et dévalorise le politicien. Fragilisé, le politicien renvoie un discours démagogique à l’électeur. Il le crédite d’un discernement sûr, d’une intelligence supérieure, tout en estimant avoir affaire à un sot ou un fanatique.  Le mensonge passe d’autant mieux qu’il est doré. Mais il a deux effets indésirables. Le politicien lui-même est simplifié par cette relation faussée. En occultant la diversité de ses électeurs, il s’infantilise aux yeux de beaucoup d’entre eux. 

Deuxième effet: se voir félicité pour des compétences qui n’ont pas été mises à l’épreuve infantilise aussi l’électeur. Il gonfle son importance avant d’en avoir les moyens. Cet enfant confiant élit quelqu’un qui lui ressemble : un politicien-gamin. Nous avons les politiciens que nous méritons. Ils sont notre dossier psychanalytique. Amplifier la bonne image de soi est positif sur le fond. Mais si nous ne distancions pas les niveaux décisionnaires dans notre esprit comme dans la société, ce grand mérite attribué à soi fait élire celui qui me ressemble plutôt que celui qui nous rassemble.

Le danger du wokisme

L’essor du wokisme atteint les rivages calédoniens. C’est l’éveillisme en français mais le terme sonne trop joli ; gardons l’abrupt ‘wokisme’. Il désigne une opinion minoritaire refusant mordicus la domination majoritaire. Les exemples sont multiples : les antivax bien sûr, les manifestants qui réclament « Liberté!! » en pourrissant celle des autres, certains clans kanaks qui se moquent des palabres, ou encore le très ridicule collectif qui a réclamé le retrait des clips de campagne du Non, jugés “racistes et humiliants” alors qu’ils sont seulement ironiques, qualité minimale pour ce genre de marketing. A quand l’interdiction de tout humoriste sur le caillou ?

Les communautés font partie de l’âme calédonienne. Mais le wokisme n’est pas le communautarisme. Le communautariste se sent partie intégrante du pays. Il fait valoir ses droits mais est également capable de s’effacer devant le bien commun. Pas le wokiste. Le wokiste se moque du collectif. Son destin sera celui qu’il a décidé, peu importe les autres. Le wokiste est un anti-collectiviste capable de tuer dans l’oeuf tout effort de consensus. Nouvelle barbarie. Blanc ou noir, mais ni démocrate ni coutumier, le wokiste est aujourd’hui le plus dangereux requin prêt à dévorer le vivre ensemble.

L’éveil du centre

Heureusement les collectivistes sont encore majoritaires en Nouvelle-Calédonie. On s’interroge même : Comment le wokisme a-t-il pu s’implanter dans un pays où il fait aussi bon vivre, où la pire des misères est simplement de vivre en dehors de l’économie, à cultiver son bout de jardin et pêcher son poisson ?

Je préfère réserver le terme ‘éveillisme’ au réveil du centre, qu’il faut encourager. Redonnons notre pouvoir à ce collectif qui se lasse des oppositions stériles et des enfantillages, comme le fait Simanë dans son clip ‘Oui ou Non ?’

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Liens:
Nouvelle-Calédonie : les résultats du 3e référendum d’autodétermination du 12 décembre 2021
Tout comprendre – Référendum en Nouvelle-Calédonie: Les enjeux de ce 3è vote sur l’indépendance
Wiki: Référendum de 2021 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie
Le Monde: Nouvelle-Calédonie : le troisième référendum sur l’indépendance aura bien lieu le 12 décembre
L’Express: Le référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie
L’Obs: Référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie : les indépendantistes critiquent la validité du scrutin

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