La haine en soi est la forme caricaturale de l’agir. L’action haineuse ne se laisse arrêter par rien. Tout le problème est d’avoir correctement défini sa cible. Le bien-pensant a tort de brocarder systématiquement la haine. Des biens pensants peuvent s’abandonner à elle, par exemple contre des exactions volontaires sur des innocents. Plutôt que brûlante la haine peut être froide, sa puissance exercée au tribunal. C’est là qu’elle vérifie son objet, se rend justice à elle-même, au risque sinon de rester un fantasme personnel.
Lorsque je vois une toute jeune kanak hurler sa haine sur les barricades, ce n’est pas cette haine en soi qui me terrifie en tant que cible et me désole en tant que parent, c’est que sa puissance d’agir ait été à ce point pervertie. Qui a réussi à la débarrasser de toute trace de justice ? Quels fascistes réfugiés derrière l’excuse anticoloniale ont manipulé cette conscience vulnérable ? Que sera la vie de cette gamine ayant appris à libérer sa haine sans l’avoir examinée ? Une série d’agressions stériles. N’ira-t-elle pas jusqu’à créer les conditions d’agressions envers elle-même, pour avoir l’occasion de libérer sa haine ? C’est d’une telle banalité quand on analyse les histoires personnelles. La force d’attraction de la haine est irrésistible si nous n’avons pas auparavant mis en place nos capacités d’auto-observation.
Les adultes confondent leur rôle éducatif avec l’emprise sur les jeunes. Apprendre à penser versus dire quoi penser. Plus l’adulte est riche en frustrations plus il confond les deux. La génération de parents kanaks qui a vécu 1984 et n’en a pas vraiment tiré de solution est imbibée de ces frustrations. Est-ce une excuse pour les avoir transmises ? Éduque-t-on ses enfants dans l’espoir qu’ils aient un avenir radieux ou qu’ils vengent celui qu’on n’a pas eu ? Voilà des questions qu’une génération de politiciens indépendantistes ne se sont pas posées. Ils les découvrent aussi stupéfaits que les autres, devant ces jeunes débordant d’une haine incompréhensible sur les barricades.
Car les vrais pervers ne sont pas nombreux chez les décideurs kanaks. La plupart sont auto-convaincus d’avoir été de bons parents, d’avoir agi sainement pour l’avenir de la culture. Les pervers sont comme toujours à chercher du côté des idéalistes, de ceux qui ont réussi à virtualiser la Kanaky pour la manipuler à leur aise, la déconnecter de la réalité et la renvoyer finalement dans la barbarie comme si c’était une étape obligatoire, avant la résilience finale.
Les idéalistes pervers sont ceux qui ont fait des études sans les pousser assez loin, sans prendre conscience surtout de l’immense étendue qui reste à parcourir. Emplis de confiance aveugle par leurs concepts neufs, frais du jour, ils stoppent là l’étude du récit que ces concepts déroulent. Peu importe les erreurs du passé, eux sont plus malins que les ancêtres, bien mieux formés… Plus l’on est savant, plus l’on met de confiance dans les imbécillités que l’on profère. Être savant veut simplement dire que l’on repère plus facilement les limites des autres, pas les siennes.
J’en veux terriblement aux intellectuels kanaks, aux ânes qui ont truqué l’idéal mélanésien pour manipuler les jeunes, et aux taiseux qui ont une juste conscience de l’affaire. C’est à eux qu’il faut faire procès et non à ces esprits presque vierges, perchés sur les décombres, traversés d’émotions fulgurantes et immatures, dont il faut chercher la naissance dans des esprits plus mûrs.
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