Conseil National de la Refondation, utile?

Conseil ou consultation ?

Emmanuel Macron réunit son premier CNR au milieu des moues et des doutes. Donner la parole, l’initiative ne devrait-elle pas déclencher l’enthousiasme de tous les mécontents, et ils semblent être devenus une majorité en France ? Les dubitatifs sont les représentants des institutions existantes, convoqués pour quoi, finalement ? Remettre en question leur place dans la hiérarchie ? Leur tiédeur n’a rien d’étonnant. Macron l’a bien compris en faisant suivre la réunion d’une consultation en ligne généralisée. Popularité assurée, cette fois. Je m’inquiète du burn-out de ceux qui vont devoir trier les messages innombrables. Ouvrir et réfléchir si on garde ou pas. Des cortex vont chauffer jusqu’à refuser de tourner, comme mon presse-agrumes lorsque je fais la récolte de mon généreux oranger.

La justification du CNR semble une évidence : les français vivent en démocratie et ont l’impression de ne plus y être. Il faut redéfinir ce terme. Ou plus précisément unifier les significations qu’il prend dans chaque cerveau, fort éloignées du consensus.

“Les” démocraties

‘Démocratie’ est un concept complexe. Nous pouvons l’expliquer simplement à un enfant en une phrase : « 1 citoyen, 1 voix, des décisionnaires élus au vote majoritaire ». Mais tous les sous-concepts de la phrase sont eux-mêmes complexes. Un ‘citoyen’ renferme une foule de compétences et limites, désirs et peurs, charités et égoïsmes. Une ‘voix’ est soumise à une multitude d’influences, produit d’une société du spectacle qui s’incruste avec les réseaux dans chaque minute du quotidien. Un ‘décisionnaire’ peut être radical ou consensuel. Un ‘vote majoritaire’ peut être recueilli de façon diverses, pas seulement en recueillant les ‘pour’ mais aussi les ‘contre’ et les ‘blancs’.

Apparaît une grande variété de fonctionnements démocratiques possibles. L’actuel a perdu toute transparence, alors que l’acuité du regard citoyen s’est nettement améliorée. Comment est-ce possible ? Sans doute parce que nous nous sommes mis à croire à nos propres fadaises. 1 citoyen, 1 voix, 1 même importance ? Nos grands-parents vivaient en démocratie mais n’y croyaient pas. Il y avait les riches et les pauvres, les savants et les couillons, les gens de la haute et le petit peuple. L’égalité des gens était une imposture bien connue, dont on savait se moquer. Aujourd’hui la plupart des gens se sont persuadés que le discours est vrai.

Mais il est toujours aussi faux. Alors il faut épaissir le mensonge, le dissimuler un peu plus loin. Les riches cachent leurs biens, les font passer derrière des sociétés, cessent d’afficher leur train de vie. Les intellectuels font semblant d’être bêtes, félicitent les diseurs de sornettes, disent “peut-être” quand ils pensent “absurde”. Les politiciens, crucifiés dès qu’ils énoncent une petite vérité, se transforment en bateleurs Trumpistes. Ils proclament authentique la réalité espérée par leurs suiveurs. L’adjectif ‘alternative’, derrière ‘réalité’, voit ses caractères diminuer jusqu’à la taille d’une particule quantique.

La névrose fondamentale de l’esprit

Quel est le problème fondamental de la démocratie, celui que doit résoudre le CNR ? C’est le conflit de l’individu avec le collectif. Relation par essence névrotique. Je suis un ego, capital, mais aussi partie d’une société, ensemble d’egos tous capitaux. Les deux importances, de l’individu et du collectif, sont rivales, assurément. Mais elles ne sont pas contradictoires, contrairement à une opinion répandue. Le collectif en effet n’est pas une entité physique, un macro-organisme qu’il faudrait nourrir en plus du sien. C’est une organisation dont l’existence améliore la moyenne de confort individuel. C’est bien d’une moyenne dont il s’agit. Il n’est pas question d’égalité. Les systèmes qui ont visé l’égalité s’effondrent dès qu’ils dépassent le cercle familial. Nous ne sommes pas des clones.

Les importances individu & collectif ne sont pas contradictoires parce que celle du collectif n’existe qu’à travers l’individu. L’effort individuel nourrit le collectif, qui est incapable de se maintenir seul. Une autre opinion répandue voit l’État, l’Économie, la Sécurité Sociale, le Capital, les Multinationales, comme des entités immuables, dont jamais le lait ne se tarit. Certes ces entités peuvent sembler éternelles à la fugacité d’une vie individuelle, emplie d’aléas. Mais à l’échelle de l’Histoire, elles sont récentes, infantiles et vulnérables, susceptibles d’être effacées par tout conflit planétaire ou toute généralisation du repli sur soi. Repli sur soi qui n’a rien de bien réfléchi. Qui a véritablement conscience d’utiliser au quotidien une myriade de services collectifs ? Ils se fondent tellement dans le décor qu’ils semblent aussi infrangibles que le lever du soleil.

Synergie

L’équation est simple : lorsqu’une majorité d’individus attendent davantage du collectif qu’ils ne l’alimentent, le pouvoir du collectif s’effondre, et la moyenne de celui des individus aussi. Lorsque qu’une majorité d’individus donnent davantage au collectif qu’ils n’en attendent, le pouvoir du collectif augmente et la moyenne de celui des individus aussi. Les importances ne sont pas contradictoires mais synergiques.

Malheureusement nous basculons actuellement dans la première configuration : les adultes entament un repli sur eux-mêmes, dépités de ne pas recevoir ce qu’ils espèrent du collectif. La génération Z, qui a grandi dans cette ambiance sinistre, n’essaye même pas de fournir un effort pour contrecarrer la marée descendante. À leur décharge, leur destin pressenti est de porter sur leurs épaules une planète de vieux barbons aigris, désabusés, revendicateurs, et bientôt complètement repliés sur eux-mêmes. Pour ces jeunes, la charge est accablante, et les vacances si lointaines qu’il vaut mieux les prendre tout de suite !

Participer ?

Pas de démocratie sans comprendre la synergie entre effort individuel et collectif. Si ce cap est franchi, comment redonner à la démocratie son rôle de canalisation des volontés individuelles vers la générale. La démocratie participative est-elle la solution ?

Sous forme d’une multiplication de cellules d’opinions, la démocratie participative est une hypocrisie. C’est l’expérience que nous avons sous les yeux avec les réseaux sociaux. Wokismes et autres groupismes dépourvus de coordination, de compromission avec les impératifs étrangers au groupe. Aucun programme synthétique. La participation apparaît sous cet éclairage comme un anti-collectivisme : chaque cellule refuse de se voir imposer la décision majoritaire. Pseudo-démocratie qui est en fait un anarchisme.

Je veux être calife…

Le citoyen moyen ne se sent pas écouté par les décisionnaires. Nous avons vu qu’il s’est attribué bien plus d’importance que la génération précédente. Il s’est surtout attribué une grande expertise, par le simple fait d’avoir accès à quantité d’informations. Il refuse donc que son opinion soit ignorée. La représentativité l’énerve. Pourquoi se faire représenter puisque c’est mon avis le meilleur ? Un élu ne peut que le dénaturer. Le citoyen moyen veut réduire la distance entre la plus haute instance et lui-même. Au point d’avoir le secret désir d’être lui-même la plus haute instance, c’est-à-dire que personne ne lui impose désormais sa vérité.

À l’évidence c’est méconnaître gravement le fonctionnement d’une hiérarchie, qui met des contraintes sévères sur ses dirigeants, le président étant même sujet aux contraintes d’une population gigantesque. Son degré de liberté est insignifiant par rapport à celui d’un artisan. Je me demande comment il se trouve encore des candidats pour un tel poste. Le degré d’aveuglement et de prétention nécessaire pour en arriver là est tout à fait déraisonnable. Merci, Emmanuel, d’avoir gâché votre vie et votre bonheur pour le sauvetage d’une démocratie moribonde. C’est malheureusement un travail d’équipe et vous n’êtes pas aidé par la bande d’enfants qui dirige les grandes nations de cette planète mourante.

Bientôt la pénurie d’îles désertes

La hiérarchie gère la rivalité entre les intérêts individuels et l’intérêt collectif. Deux directions, deux contraintes, deux responsabilités. Le citoyen met la pression sur son représentant et assume sa décision. L’élu assume son devoir envers le citoyen et le presse d’obéir au collectif. Aucun ne peut se soustraire à sa responsabilité. Un citoyen qui refuserait d’obéir à l’intérêt général ne peut rien réclamer au collectif. Ce qui veut dire s’exiler dans une île déserte sans même un slip.

C’est d’une gestion hiérarchique du conflit individu/collectif dont il faut parler. Tout citoyen peut s’y engager, à condition de démontrer la compétence nécessaire. ‘Compétence’ n’est pas ‘force de l’idée’ mais capacité à l’organiser avec les autres. Le travail de notre fameux Conseil National pour la Refondation apparaît enfin clair : il doit améliorer l’engagement du citoyen moyen dans la hiérarchie, de manière qu’il se sente impliqué. Il devient ainsi porteur de deux devoirs, le collectif envers soi (comme il le réclame déjà), et le soi envers le collectif (qu’il a tendance à négliger).

Desserrer la hiérarchie c’est la reconnaître et l’étendre

Faut-il bombarder ‘député’ chaque citoyen ? Cet effondrement de la représentativité n’aura qu’une conséquence : nous voudrons tous être ‘président’. C’est donc le contraire qu’il faut proposer : ré-étendre une hiérarchie beaucoup trop resserrée pour 70 millions de citoyens. Quelle proximité peut-il y avoir entre un président et un si grand nombre de gens ? Toute familiarité est une mystification. Aucun cerveau ne peut être pote avec 70 millions d’autres. Il est conformé pour la taille d’une tribu. Voilà quelle devrait être l’étendue de chaque échelon hiérarchique : une tribu.

Naturellement rien n’empêche d’appartenir à plusieurs tribus, selon nos talents et passions. Vous vous passionnez pour l’économie ? Parlez-en, écrivez, publiez, peut-être parviendrez-vous au cercle des influenceurs dans ce domaine… à condition d’y être élu par vos pairs et non par des gens qui ne savent pas grand chose de l’économie, que vous vous êtes contenté d’éblouir avec des connaissances qu’ils n’ont pas. Représenter, je le redis, est surtout la capacité de synthétiser son opinion avec les autres, donc être fin connaisseur de ces opinions alternatives et non prêcheur radical.

Reconstruisons la Tour de Babel

Étendre les échelons hiérarchiques facilite le saut de l’un à l’autre. Plus de petits fonctionnaires peureusement accroché à leur position, puisqu’ils ne distinguent plus ni le bas ni le haut de l’échelle. Beaucoup jouent les petits chefs par peur de tomber, parce qu’un chef plus grand leur a barré la route. Mais si tout le monde monte et descend perpétuellement l’échelle, parce qu’elle est immense ? Probablement se saluera-t-on plus souvent au passage.

Plutôt que détruire la hiérarchie jusqu’à une foule stérile d’individus braillant leurs désaccords, reconstruisons la Tour de Babel, plus adaptée à la diversité humaine, et nous passerons notre existence à voyager entre le sol et les nuages. Portés par nos illuminations du moment, nous découvrirons de plus hauts belvédères, où le regard découvre chaque fois un nouvel horizon.

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Illustration : création Maïlo, photographe. Voir son site.

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