Complexe mais pas ontologique
Le plan Do Kamo. Son objectif est de sauver le système de santé calédonien. En est-il capable ? Sa formulation est bonne, avec un niveau global (3 grands axes) et un niveau particulier (86 mesures). La relation générale entre les deux est également claire : maîtriser les dépenses sans nuire à la qualité des soins. Mais la direction est inadéquate. Le projet part du niveau global et veut s’imposer aux particuliers. Cela ne fonctionne que si vous disposez d’un modèle fiable du fonctionnement de la santé. Il n’existe pas. Ainsi l’espoir global a fort peu de chances de satisfaire les besoins particuliers.
En sociologie comme dans toute autre science, vous devez établir un modèle ontologique des systèmes. Préalable indispensable pour les faire évoluer conformément à vos espérances. Partir des micromécanismes, regarder comment ils s’organisent, juger des effets de paramètres modifiés. Problème: dès que le système augmente en complexité, les paramètres se multiplient. Chacun d’eux influence tous les autres. Pas avec la même puissance. Sous-systèmes formés par certains. Il faut identifier ces niveaux de complexité.
L’égalitarisme assimile des gens différents
C’est le travail commencé dans Comment sauver la CAFAT?, 1er volet de cette série d’articles. Partir de la molécule du système de soins, la relation malade-médecin. Il faudra même remonter aux atomes, citoyens (pas tous malades) et médecins, différents par la culture, la formation, la motivation à soigner ou se faire soigner. Incontournable en Calédonie où l’égalitarisme assimile stupidement des gens bien différents en matière de demande et implication dans les soins.
Cette méthode est le regard ascendant, ontologique, qui part des demandes particulières et suit leur chemin dans le système de soins. Beaucoup d’issues globales sont à examiner. Tandis que le plan Do Kamo, tel que formulé actuellement, est un regard descendant. Il part de la demande globale, suit le chemin inverse, jusqu’à considérer arbitrairement les utilisateurs comme tous équivalents.
Retrouver son intérêt particulier dans le global
Méfait de l’égalitarisme, idéal qui interdit tout modèle réaliste à propos de gens fondamentalement différents, qui ne cherchent aucunement à ressembler à leur voisin, mais au contraire à protéger leur identité. C’est la discordance fondamentale de ce regard descendant : nos décideurs sont jugés technocratiques, sans en comprendre la raison, puisqu’ils s’efforcent de satisfaire l’intérêt général. Justement ! Cet intérêt global, ils sont les seuls à s’en préoccuper passionnément. Les gens n’y voient qu’un étouffement de leurs intérêts particuliers. Ils n’ont participé en rien à sa construction.
L’intérêt global a établi arbitrairement ce que doivent être leurs intérêts particuliers, en les moyennisant. Cela ne correspond pas. Le regard descendant crée un décalage. Insupportable parce que le global paraît tyranniser le particulier. Les gens le perçoivent aisément et ne font aucune confiance au discours des gouvernants, qui s’en étonnent.
Essorer le discours de sa signification
Ils réagissent naturellement en vidant le discours global de l’essentiel de sa signification. Regardons les 3 grands axes de Do Kamo :
-construire un nouveau modèle économique,
-construire une nouvelle gouvernance,
-assurer une offre de santé efficiente.
Difficile de faire plus vague. Tout repose sur le positivisme attaché à ‘nouveau’, quand tout va mal. Le discours global se résume donc à : « Tout va mal, mais tout va aller mieux ». OK, moi, utilisateur du système, je ne peux m’élever contre ça. Quelques détails, c’est possible ?
C’est là où s’inscrivent théoriquement les 86 actions. Un effort est fait pour leur donner apparence de complexité. Les 3 axes sont divisés en 7 objectifs stratégiques comprenant 22 objectifs opérationnels qui incluent au final les 86 actions. Malheureusement cette dimension complexe n’a rien à voir avec un modèle ontologique de la santé. Il s’agit seulement du regard descendant qui saupoudre le projet global sur tous les services et acteurs, sans rien connaître de leurs interactions profondes.
Transposition d’un échec
Le résultat est un puzzle horizontal. Ce plan Do Kamo espère qu’en découpant chaque pièce conformément à ses voisines, tout s’emboîtera parfaitement et l’image finale sera l’aboutissement espéré du projet.
Déception prévisible. Il suffit de constater le résultat de cette démarche descendante dans le système français métropolitain. Aucun équilibre. Gaspillages, fraudes à foison, armée de fonctionnaires surveillant les pratiques des assurés et des soignants, hôpitaux au bord de l’implosion, déserts médicaux. Est-ce un tel bilan que nous voulons reproduire en Nouvelle-Calédonie, en nous reposant sur des expertises réalisées par les mêmes conseillers de l’IGAS ?
Une organisation n’est pas une juxtaposition
L’erreur est facile à identifier : chaque redécoupage d’une pièce du puzzle change son identité. Beaucoup sont conflictuels. Qui choisit ? Toutes les pièces sont-elles aussi importantes pour l’image finale ? Qui établit les priorités ? Une technocratie guidée par des modèles ayant démontré leur inefficacité ? Ou des gouvernants cherchant à faire retrouver aux électeurs leurs désirs disparus du plan actuel ?
En examinant le rapport IGAS, sa ligne très simple apparaît dès le sommaire : il s’agit d’une mise en conformité des institutions calédoniennes avec les métropolitaines. Modes de financement, procédures de contrôle, découpage des tâches, tous les outils du regard descendant sont présents.
Bonne opinion… ou demande de secours?
Nous savons ce qu’il a produit, isolément : un système en perdition, allongeant les délais de rendez-vous, rétrécissant le choix des thérapeutes, engorgeant l’hôpital, décourageant les soignants. Voie d’eau gravissime dans le paquebot France, les pompes parvenant tout juste à éviter le naufrage.
La bonne opinion résiduelle du système français, dans les sondages, ressemble plutôt à l’espoir que les choses redeviennent comme avant. « Pitié, ne dégradez pas plus le système en lequel j’avais confiance ! Je me rends compte à présent de la chance que nous avions… ».
Une solidarité destinée à s’inverser?
Le retour en arrière est impossible. Le Supermarché De La Santé sans caisses, c’est fini. La pyramide des âges l’interdit. La générosité sans limites pour les malades ne pesait pas lourd quand une majorité de jeunes bien portants payaient pour une minorité de vieux souffrants, la plupart ayant d’ailleurs appris à le faire en silence. Aujourd’hui le rapport est inversé. Intenable. Et plus personne ne doit souffrir…
L’inversion a touché la France avant la Nouvelle-Calédonie. La première a déjà expérimenté des mesures, la seconde débarque. Raison pour laquelle les institutions calédoniennes semblent obsolètes. Ce qui ne veut pas dire que la métropole a résolu, ou même seulement bien géré, le problème. Au point de se demander si la solidarité, dans une gérontocratie à peine déguisée, ne devrait pas s’inverser entre les générations. Question dont le système ne fait nulle part mention.
Passons la troisième
À l’heure où la Calédonie cherche ses “troisièmes voies” dédiées à son pluralisme ethnique, le plan Do Kamo actuel n’en est pas une. Il met soigneusement ses pas dans le tracé métropolitain, sans pouvoir compter sur la même mansuétude en matière de déficit. L’indépendance, celle mûrement réfléchie par tous les calédoniens, celle de ne pas dépendre de l’assistance, s’éloigne. La détérioration perçue dans l’accès aux soins sera plus difficile à expliquer par les gouvernants aux électeurs. Ils en sont plus proches.
Les décideurs calédoniens en sont-ils conscients ? Certainement, si l’on en juge par l’avancée des travaux. Le vote du plan Do Kamo remonte à 2016. Six ans ! Référendums, pandémie ? De bons prétextes pour refiler la patate chaude au gouvernement suivant. Même si nous avions sur le territoire la tête pensante capable de coordonner Do Kamo en l’état, je ne voudrais pas être à sa place quand il faudra juger les résultats. Échec assuré alors qu’il aura peut-être été parfait gestionnaire. Aucun remerciement.
Comité cherche volontés autonomes
C’est une des raisons qui m’a retenu de m’impliquer davantage, il y a 6 ans, quand j’avais proposé une ébauche de politique ascendante, pour Do Kamo. Valentine Eurisouké, chargée à l’époque de la santé, aidée de Maréva Robson et de Jean-Paul Grangeon, directeur de la DASS, se sont montrés très intéressés. Mais il fallait un pilote pour le projet. Impossible pour un médecin libéral, surchargé de clientèle et naïf dans le milieu politique.
La première tâche d’un comité Do Kamo est de définir l’identité du système calédonien, à partir de ses atomes et non en référence aux modèles existants, même s’ils peuvent être inspirants. Garder un regard ascendant pour le modèle. Un tel comité doit inclure les différents types d’atomes. Ethniques, professionnels, administratifs. Sous forme de représentants bien sûr. Pas les foules. Nous verrons dans un autre article sous quelles conditions la sagesse de foule peut être utile.
Qui ?
Il est important que les représentants soient à la recherche d’un consensus, et non désignés pour figer dans le marbre les intérêts catégoriels. Principe: le comité peut récuser l’un de ses membres à la majorité des voix quand il bloque trop les discussions. La composition peut ressembler au Conseil d’administration de la CAFAT, 22 personnes représentant les entreprises, syndicats, administration, mutuelles, professionnels de santé (à travers les organisations patronales et non comme partenaires).
Manquent cruellement des représentants citoyens. Même s’il faut craindre à juste titre l’introduction par ce biais de wokismes tels que celui des antivax. Cependant l’indépendance du comité permet en théorie d’évincer les prophètes, aussi bien parmi les professionnels que les citoyens élus. Sa taille en fait une cible moins facile qu’un ministre pour la vindicte d’un groupe conspirationniste.
Pour quoi ?
Mais le rôle d’un comité Do Kamo est bien différent du Conseil d’administration de la CAFAT. Il ne s’agit pas de voter des dépenses sur lesquelles on n’a aucun contrôle. L’objectif est bien d’ajuster le modèle de santé calédonien à sa réalité ontologique. Comment ? En enquêtant depuis l’atome. Comment tel ou tel citoyen représentatif d’un groupe recourt-il au système ? Qu’en attend-il ? Quels moyens se donne-t-il pour atteindre son objectif ?
Comment le système répond-il à ces attentes ? À chaque étage décisionnel interviennent en succession des critères de plus en plus collectivistes, débouchant au sommet sur un budget global, lui-même rétro-contrôlé par le principal sondage utile : Quelle part de vos revenus propres souhaitez-vous investir dans la santé ?
Coordonner plutôt que diriger
Dans une telle approche, à la fois ascendante et descendante, les souhaits individuels s’auto-organisent jusqu’à un échelon coordinateur, dont le rôle principal n’est pas de définir un montant de dépenses. Ce rôle est de répartir la dépense souhaitée collectivement selon le modèle défini par le comité structurel. Une vraie science de la santé ?
Modèle destiné à évoluer perpétuellement. Comment faire autrement, quand les atomes mutent ? Mieux informés, plus impliqués dans leurs soins, dans la prévention, plus responsables. C’est ce qu’il faut nous souhaiter. Car aujourd’hui il y a confusion entre plus et mieux informé. Pandémie d’infox. Le modèle choisi doit s’exprimer par un recours intensif aux médias. Pas d’existence sans présence dans les réseaux. Même ceux qui n’ont jamais touché un ordinateur, nombreux chez les vieux et dans les tribus, en sont convaincus par les autres.
Retourner sa…
La pensée ascendante a cet immense avantage : vous commencez l’explication du désir de chacun, en suivez le chemin jusqu’à la décision du président. D’abominable dictateur il devient ce que vous auriez peut-être été à sa place, si vous aviez du croiser les mêmes contraintes. Contester c’est d’abord s’aveugler. De même que chez un décideur, s’accrocher à une vision bureaucratique c’est s’aveugler aux désirs qu’il faut satisfaire.
Être le bon ministre n’est pas retourner sa veste… mais son regard.
*
Continuez avec la synthèse sur le plan Do Kamo