Les modes de débat politique

Critiquer, minimiser ou positiver?

Voici 3 modes pour rapprocher des opposants :
1) Critique: mettre en exergue les défauts des uns et des autres, montrer les contradictions, ne pas laisser la cible s’enfuir vers un sujet plus facile.
2) Minimisant: aider chaque opposant à dissimuler ses défauts. Sauver sa dignité et son assurance.
3) Positiviste: vanter les qualités des uns et des autres. En faire un avantage tel que les défauts deviennent acceptables.

Le positivisme (3) n’est-il pas le plus séduisant ? Je l’adopte, pour prétendre au titre de grand sage ! Mais il me réclame d’éteindre mes critiques. Difficile. C’est un reniement de soi. Dire tout va mal bien. Si je suis politicien c’est oblitérer mon avenir. Seule la critique intéresse la foule. Faire de la politique est gérer un conflit… qu’il me faut préserver !

Combinons

Le positivisme, isolément, prend l’allure d’un film pour les enfants. Il inaugure souvent les conservatismes les plus étouffants. Je dois le combiner avec les modes (1) ou (2), qui au moins reconnaissent l’existence du conflit.

Si je suis politicien je vais utiliser les modes (1) ET (2). Critiquer l’autre et minimiser mes propres défauts. Je ne risque pas de me rapprocher de l’autre. Mais mes électeurs sont satisfaits. Leur identité est bien représentée. Les modes (1) et (2) ensemble forment la meilleure association… pour ne pas faire avancer les choses. Transformer la politique en une pure lutte de pouvoir. En exclure tout consensus, toute direction collégiale.

La démocratie faussée par le radicalisme

C’est une tare bien dissimulée dans la démocratie actuelle. Des candidats se présentent à une élection. Ils semblent sur un pied d’égalité, séparés seulement par leurs convictions. Que l’un ou l’autre prenne le pouvoir respecte de la même manière le principe démocratique, en apparence.

Faux. Les candidats sont séparés par un critère plus important : leur radicalisme. Faculté d’ignorer radicalement l’opinion d’une partie du collectif. Un radical peut gouverner avec 50,1% des voix en ignorant superbement les 49,9% d’opposants. Est-il un président aussi démocratique que celui qui en tient compte ? Non. Les USA ne se sont pas divisés entre une Clinton et un Trump, mais entre une collectiviste et un radical, une démocrate et un anti-démocrate. 4 ans durant, la première puissance mondiale n’a plus été démocratique.

Repérez les groupistes

Ce parallèle est important pour la Nouvelle-Calédonie. Elle a aussi ses radicaux et ses collectivistes, indépendamment de la couleur de peau ou des idées économiques. Politiciens groupistes ? Ils sont faciles à identifier. Conspirationnistes, adeptes de réalités alternatives, truquent les faits, s’en gargarisent. Ils jouent dans une équipe avec comme seul objectif de la faire gagner, pas de mériter l’admiration du plus grand nombre.

Ces groupistes sont, comme les autres élus, le dossier psychanalytique des électeurs. Que les radicaux soient majoritaires indique non pas que « la société va mal », comme vous l’entendez trop souvent, mais que beaucoup d’individus vont mal. Maladie des individus, pas du collectif. Impossible de mettre le collectif chez le psy. Ce sont nos petits cerveaux qui le forment.

S’approprier l’utérus

De fait la progression du radicalisme signale une infantilisation croissante des individus. « La société » est responsable de mon malheur et non moi-même. Où est-elle ? Euh… il y a le riche, là : il en fait partie. Et aussi ce politicien foireux. Cette multinationale. Et cet Illuminati, là, ne le voyez-vous pas ?

Le radical cherche le collectif dans des individus, et cherche à y substituer son propre ego. Il se moque de l’intérêt général, ne cherche qu’à s’approprier l’utérus collectif. Il n’est pas d’image plus fausse que la force de volonté chez l’électeur radical. Son braillement est le cri du bébé qui réclame le sein de sa mère. Le vote radical est l’aveu de l’échec personnel, de l’impotence. Je ne peux assumer mon incapacité à penser dans l’intérêt du plus grand nombre. Je me referme sur mon petit nombre.

Conclusion intermédiaire

Les modes (1) et (2), critique et minimisation, ne sont pas compatibles pour rapprocher des opposants. Utilisés ensemble ils conduisent au radicalisme : tu es tout noir je suis tout blanc. Quel mode choisir, associé à notre positivisme (3), pour faire avancer les choses ?

LDH-NC

La Ligue des Droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie (LDHNC) a clairement choisi le mode (2), aidant surtout la coutume kanak à minimiser ses défauts. Avantage: protéger une partie des vexations qu’elle subit depuis les débuts de la colonisation, la débarrasser de l’image de “sous-peuple”.

Cette discrimination positive a un inconvénient : elle suppose le kanak plus vulnérable qu’un autre à la critique, moins assuré, moins confiant dans sa culture. Le paternalisme infantilise. L’effet du positivisme perd sa puissance. Si le discours négatif est minimisé, le positif n’est-il pas, lui aussi, tronqué ?

Consultez à ce sujet le débat sur Droit coutumier et indépendance kanak, article de Christine Demmer et Christine Salomon avec les réponses de la LDHNC. Le travail des Christine est une avancée constructive pour le vivre ensemble, que les membres de la LDHNC freinent inutilement, sous prétexte de ménager la sensibilité kanak.

Des pointes aiguisées

Est-ce le même ménagement ailleurs ? L’occidental a plutôt fait un sport d’éreinter ses dirigeants et se moquer de ses propres travers. Journaux, tribuns, philosophes, utilisent à fond le mode (1), la critique, grâce à la liberté d’opinion. Est-ce à dire que la société kanak est moins libre ? Que les individus n’ont pas les mêmes droits pour exprimer leurs divergences ?

Le vivre ensemble n’est pas en premier lieu la communauté des biens, des moyens, des lois, mais l’adoption du même mode de débat. Même exercice de la démocratie. Passer de la relation père/enfant à adulte/adulte demande la conversion des deux parties. Que l’une abandonne isolément la sienne ne suffit pas. Toute société progressiste associe la critique au positivisme.

C’est en cessant de réclamer à l’autre qu’il me rende ma dignité… que je la retrouve. Et je peux m’en servir pour le critiquer, parce que je n’hésite pas à le faire pour moi-même. Je n’émousse pas mes pointes. Ma langue se libère et je n’ai plus besoin de me réfugier dans la violence physique.

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